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Gu Kailai
François de la Chevalerie, septembre 2012
Naguère, Gu Kailai parcourait les rues de Dalian, d’un pas sûr et volontaire. Plus tard, la voilà sillonnant les étals de Chongqing, scrutant le moindre détail.
Silhouette gracieuse, le tailleur plutôt moulant, toujours élégante.
Bien mise, portant adroitement des foulards de soie de Suzhou, les faisant glisser légèrement sur la nuque. Parfois repliés, laissant le cou à découvert.
Une gestuelle plutôt sobre, légèrement calculée. Jamais de mouvements brusques, une sorte de discipline.
Lorsqu’elle surgit au hasard des chemins, elle se fait toujours remarquer. Des bottes plutôt hautes emmènent une allure souvent martiale.
Une belle dame que d’aucun surnommait alors la nouvelle Madame Tchang Kaï-Chek[1].
En 1986, Gu Kailai épouse Bo Xilai.
Bel homme celui là ! Le gabarit solide, une inébranlable assurance dans le regard, le maintien naturel d’un chef.
Une voix qui porte sans jamais forcer, le charisme s’ajoutant, il domine aisément les assemblées. Lorsqu’il s’annonce, chacun s’écarte volontairement pour laisser le passage à ce bien nommé pair de chine.
En premières noces, Bo Xilai convole avec Li Danyu, fille d’un ancien premier secrétaire du Parti de Pékin[2] dont il a eu un garçon, Li Wangzhi[3].
L’accompagnant dans ses nombreux périples, Li Danyu lui laisse la vedette à son mari. Se tenant en retrait, deux pas derrière son homme. Un comportement de mise après le trop plein des années Jiang Qing, la troisième femme de Mao. Brusque et irascible, cette dernière avait laissé de si mauvais souvenirs que le parti communiste exigeait alors que les hiérarques s’affichent désormais avec des femmes effacées.
Mais, dans les années 90, la Chine est en pleine évolution. Emportées par la vague d’un accroissement économique sans précédant, les femmes ruent doucement dans les brancards, s’imposent de nouveau. Finis les tenues rudimentaires, le bleu des corvées. Finis les séances d’applaudissements, les levers de drapeaux. Tel un air de fronde, la coquetterie reprend ses aises.
Bientôt bruissent les ambitieuses.
Une personnalité affirmée
A 28 ans, Gu Kailai est alors une jeune avocate pleine de vie et d’énergie. Tous les regards convergent vers elle, elle s’offre comme une belle proie.
Le caractère affirmé, elle ne se laisse pas impressionner par les pressions parentales, cette musique entendue qui veut que toute femme soit mariée en Chine avant trente ans. Nullement à l’affût du premier venu, elle renvoie à leurs misérables travaux de vulgaires prétendants qui croient bêtement qu’elle acquiescera sans mot dire.
Elle porte plutôt le regard au loin. Son mot d’ordre : être l’acteur de sa vie nullement un bien gentil spectateur.
Sûre de son aura, Gu kailai observe avec attention les étoiles montantes du parti. Plus qu’aucune autre, elle sait qu’ils disposeront encore pour longtemps de la maîtrise du pouvoir.
Bientôt elle court de cercle en cercle, répand son audace, se meut dans le tout Beijing. C’est ainsi qu’elle rencontre Bo Xilai.
Rencontre éclair
En l’éclair d’une seconde, elle le soumet à son sourire. D’abord il la regarde de haut mais elle est inébranlable. L’œil vissé sur le bel homme, elle ne cède pas. Elle aiguise ses armes, s’amuse à ce jeu. Peu à peu, Bo se détend. Glisse sur son visage un sourire. Le soleil se faisant chaud, vient un mot léger.
La route est alors tracée. S’emportant dans un rire, Gu Kailai connait son destin.
Aussitôt Li Danyu en prend ombrage, chahute son homme. Elle fait appel à la raison. Elle exige le retour à l’ordre établi, le maintien d’un duo convenu : homme de pouvoir, femme d’apparatchik. Elle réclame encore le respect aux ancêtres.
Elle lutte un moment mais Bo Xilai a l’esprit ailleurs. Une force insensée le submerge. Il hésite un moment mais la vague le bouscule plus encore. Il la néglige alors, lui adresse mollement la parole, fuit sous son regard, ment sans conviction. Finalement, la rupture est sonnée. Vient le divorce. Dégoutée, Li Dangyu exige que son fils ne porte plus le nom de son père, ce qui sera fait.
Tenant désormais dans ses rets son homme, Gu kailai savoure son succès. Pour elle, l’affaire est entendue : Bo Xilai est promis à de hautes fonctions. Ils sont donc faits pour s’entendre. Elle murmure encore, « pour conquérir le monde ».
Des bien nés au pouvoir
Tous deux descendent d’illustres révolutionnaires.
Lui est le fils de Bo Yibo, l’un des huit « immortels » du Parti communiste chinois.
De son côté, Gu Kailai est la dernière née du général Gu Jingsheng, un révolutionnaire s’étant illustré avant la prise du pouvoir par le parti communiste.
Certes Li Danyu était aussi de bonne extraction mais entre Gu Kailai et Bo Xilai se noue un pacte d’ambition.
Comme Ils ont chacun la cruelle impression que leur parents respectifs occupaient les arrière postes, ils guettent le haut du podium, la gloire en chantant Guoge[4] à tue tête.
Dans sa jeunesse, Bo Xilai était est un radical, un vrai garde rouge, agissant sans état d’âme. S’abreuvant de l’exégèse maoïste, il était le spécialiste des coups durs.
Tous deux camarades ?
Depuis la révolution, en 1949, la camaraderie en Chine s’est transformée en un compagnonnage. Avec le temps, sous l’effet des changements, elle s’est muée en une aristocratie presque exclusive. Se murant dans un monde feutré, elle rassemble le cercle très fermé des descendants des révolutionnaires de la première heure et quelques cadres sortis du rang, soit plusieurs milliers de personnes.
Bo Xilai et Gu Kailai sont communistes comme on peut être membre d’une confrérie.
Aussitôt mariée, Gu Kailai s’impatiente. Soutenant son mari alors Maire de Dalian, là voilà bientôt au prétoire prenant la défense des entreprises de la ville sévèrement chahutées par des sociétés américaines. Talentueuse, elle les fait sèchement plier[5]. Son cabinet s’étoffe, sa renommée est désormais bien assise.
Ay rythme de postes de son mari, le couple étend et consolide sa puissance. La voix de Gu Kailai retentit dans les salons. Douce au rythme espacé, s’affermissant, plaidant sans détour pour la grandeur de la Chine comme celle de son mari.
Une belle dame, plutôt une grande dame !
Les années passent. Chongqing est une ville dynamique mais le Maire s’inquiète de l’existence d’une mafia locale peu scrupuleuse, des bandits au long cours. L’histoire de cette ville est égrenée par leurs agissements : rackets, extorsions, abus et faits en tous genres. Une sorte de fatalité dont les habitants ont appris à s’habituer mais qui révulse Bo Xilai lorsqu’il entre en fonction.
Il compte bien éradiquer le mal sans savoir alors qu’il sera aussi pris dans la tourmente.
Mais, à Chongqing, la criminalité se répand tel un virus. L’on arrive indemne, droit dans ses bottes et puis un beau jour le mal s’infiltre, prospère de manière silencieuse, gagne peu à peu le cerveau. Bientôt, le daode[6] s’évapore comme par enchantement. L’on s’affranchit des règles. L’aveuglement alors. Puis, le coup fatal.
Le lǎo wài
A Dalian, le couple rencontre un jeune entrepreneur anglais, passeur d’idées et de services. Tout de suite, s’établit entre eux une amitié.
Neil Heywood devient un proche parmi les proches avec lequel Gu Kailai s’entretient de tout, du vent gonflant à l’horizon, de l’orage les nuits d’été. Du monde ou de ses petits riens qui occupent une mère de famille.
Un anglais au visage poupon dont l’élégance naturelle et le sourire charmeur l’envoutent comme il séduit son époux, l’étoile montante du Parti.
Cette amitié se poursuit à Chongqing.
Le lǎo wài 老外[7] devient au fil des temps, l’homme à tout faire, des belles et des basses besognes.
Connaissant par le menu les arcanes de la vie du hiérarque, bientôt s’en mêlant, au hasard d’une affaire de gros sous, il réclame son dû.
Comme on le lui refuse, il s’accorde sur une stratégie. Entre autres faiblesses, il remarque la vie débridée et échevelée du fils du couple, Bo Guangua, qui mène un train de vie somptuaire.
L’anglais crache dans la soupe, avertit qu’il compte se répandre.
Blessée au cœur, Gu Kailai décrète qu’il ne doit plus vivre, pas une seconde de plus.
Le renégat ose perturber le cours naturel des choses, une longue histoire de puissance, de pouvoir et, au fil du temps, d’argent.
De surcroit, il enfreint la règle sacralisée des familles chinoises : le soutien inébranlable parfois aveugle à l’enfant unique. Souvent déclaré prodige.
S’aidant de complices, Gu Kailai l’empoisonne à l’ancienne. D’abord l’enivrant, elle lui administre ensuite la ciguë à la bouche. Le coup fatal, il se recroqueville, se tord, s’arrache les boyaux. Bientôt, il tient son cou entre les mains. Il bascule, respire difficilement. Il se débat encore, s’accroche toujours à un fil de vie.
Mais la ciguë est implacable, un vrai déluge broyant tout sur son passage, le laminant enfin. Vient le dernier soupir, son regard se vide, ses yeux fixent l’éternité. La Terre est déjà loin pour cet homme.
Le jugement
Devant les juges du tribunal de Hefei, Gu Kailai est méconnaissable.
Enveloppée de bout en bout, les joues rembourrées, les mains gonflées. Le corps crispé, presque inerte.
Le regard fuyant ou absent. Elle cligne vaguement des yeux. Glisse sur son visage une légère moue. Bientôt il se referme, s’endort dans un songe.
Beaucoup s’en étonnent. Comment a-t-elle autant changé physiquement ? Son visage est décortiqué à la loupe. Le moindre point de beauté est pris pour un indice. Toute ride suspecte suggère un trouble. La rumeur s’installe.
Loin des bruits de couloir, Gu Kailai entend la sentence, d’une oreille distraite.
La mort avec une peine suspensive.
Figée, sans réaction, semblant insensible à son sort.
La mort a déjà pris pleinement possession de son âme.
Pour cette femme habituée à être sur la devanture, la mort sociale est une mort sans retour. Nullement craint-elle d’être recluse et d’affronter désormais des journées sans rythme. Pour elle, la vie est déjà une vieille histoire tel un rêve se perdant dans les ténèbres.
La voilà maintenant prostrée à jamais dans sa prison, la tête repliée sur les genoux. A travers la lucarne de sa cellule, des nuages s’ébranlent dans le ciel. Loin, là-bas, s’envolent les souvenirs.
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