Les chinois sont-ils racistes ?
Posté par ITgium le 29 juin 2014
Le récit de jùn mǎ – Francois de la Chevalerie (俊 马) et les dessins de Sà bīn – Sabino Cagigos (萨宾)
Jusqu’à ce jour, jamais ne m’avait traversé l’esprit d’aborder cette redoutable question laquelle ainsi posée est sulfureuse, une envolée de mauvais goût.
Cependant, lors de mes derniers passages en France, au fil de conversations impromptues courant sur divers sujets, je me suis plusieurs fois laissé surprendre par une malheureuse incidente, les chinois seraient racistes (zhǒng zú zhǔ yì zhě – 种族主义者).
Se laisseraient-ils gagner par le racisme (zhǒng zú zhǔ yì - 种族主义) ?
Diverses voix le suggèrent.
Dans la mêlée, des exemples.
- Des hommes d’affaires Français en déplacement à Pékin s’interrogent sur l’attitude de leurs partenaires chinois à l’endroit d’un membre de leur délégation. « Nous avons relevé, précisent-ils, que les chinois s’en écartaient alors que ce dernier est une pointure en informatique. Est-ce à dire ? »
- Une Franco-Sénégalaise, dont les parents ont vécu à Pékin, porte la critique plus loin, sans ambages : « Ils sont viscéralement racistes ! »
- Un jeune homme d’origine ivoirienne qui envisage un séjour en Chine s’interroge. « J’ai hâte de me rendre dans ce grand pays mais y serais-je seulement bien accueilli ? »
- Un autre d’origine haïtienne précise : « Devrais-je faire profil bas ? »
Brûle encore le commentaire, celui-là fiévreux, d’un chômeur vivant à Aubervilliers où se trouve une importante plateforme commerciale chinoise.
- Lorsque je me suis présenté à une entreprise chinoise dans le secteur du textile, j’ai été reçu par un regard fuyant. D’un geste de la main, l’on me demandait de m’éloigner. Pas même un mot d’encouragement, de sympathie. Que suis-je à leurs yeux ? »
Piégés par le regard de l’autre, dans ce cas du chinois, ils souffrent d’un traitement défavorable.
Le bù gestuel, signe de l’absence de dialogue, d’un refus
Un geste de la main accompagné d’un bù (不) a signifié à ce chômeur qu’il ne pouvait prétendre à un travail dans cette entreprise chinoise.
Ce bù, traduit sommairement en « non », est la réponse ordinaire des chinois toutes les fois où ils veulent se débarrasser sine die d’une question soit qu’ils ne la comprennent pas soit qu’ils ne veulent rien faire.
Combien de fois n’ai-je pas été surpris dans les rues chinoises par ce bù gestuel, notamment, lorsque je demandais mon chemin !
Certes ce manque d’élégance existe dans tous les pays mais dans le cas précité, il faut rappeler qu’il est sévèrement réprimé.
Si d’aventure des employeurs chinois battant le pavé parisien refusent un emploi à homme en raison de ses origines ou de sa couleur de peau, ils s’exposent alors à de lourdes sanctions.
Même constant auprès des brasseries parisiennes dirigées par des Wenzhou rén (温州 人), ville au sud de Shanghai, et lesquels contrôlent l’essentiel des activités commerciales chinoises en Ile de France.
Tous ceux qui ne sont pas originaires de leur ville sont écartés même les chinois des autres provinces.
Inutile donc de chercher un emploi dans leur sillage.
Conséquence de leur entre-soi, certains sociologues expliquent les violences faites aux chinois dans le quartier de Belleville, agressions et autres méfaits, par leur communautarisme exacerbé.
En somme, la réponse du berger à la bergère.
Ailleurs et en Chine
En Afrique, sauf exception, les chinois vivent en vase clos.
Pourtant les chinois n’ont pas l’arrogance de l’expatrié occidental, le plus souvent ils se contentent d’un mode de vie discret.
Cependant, les années passant, ils se tiennent toujours à l’écart de la population locale, indifférents aux cultures du pays, les ignorant.
- Combien de commerçants chinois ayant leur échoppe sur l’avenue du Général de Gaulle à Dakar ont-il lu Léopold Sédar Senghor et Cheikh Anta Diop ? se demande une jeune ethnologue.
En Chine, à Canton où la communauté africaine était effervescente voici dix ans. Désormais, les commentaires sont désabusés.
La politique très restrictive en matière de visa a fini par doucher les espoirs d’une Sino Afrique fraternelle et enjouée.
- Les chinois accordent favorablement des visas surtout pour les ressortissants des pays où leurs intérêts sont importants, voire incontournables. Notamment, là où se trouvent des matières premières. Regorgeant d’hydrocarbures, l’Angola est en pointe mais le reste ? s’interroge un Guinéen sur le départ.
A Canton, la communauté africaine ne rassemblait à son pic (2009) tout au plus 50 000 âmes, peut-être moins dans une ville de 14 millions d’habitants. Si l’on prend pour référence la mégalopole (Shenzhen, Donguan, Foshan, Canton) 50 000 pour 50 Millions d’habitants.
Faites vos comptes !
1 sur mille et c’est déjà trop !
Une goutte d’eau pourtant.
En juin 2012, toute la politique africaine de la Chine aurait pu s’effondrer.
Suite au décès d’un nigérian dans les locaux d’un commissariat à Canton, indifféremment de leur nationalité, des ressortissants africains se sont rassemblés pour manifester leur mauvaise humeur.
Trop de vexations endurées ont alors favorisé cet élan comme celle bien connue, de la difficulté de trouver un taxi à Canton lorsqu’on est noir de peau.
Tombe le verdict d’un internaute chinois d’un genre entendu sous d’autres cieux.
« Il faut que les Chinois se protègent, pour leur descendance, il faut préserver la pureté des Chinois et l’excellence de notre culture. Il ne faut pas que les Noirs prennent racine en Chine ».
Si de tels événements se répétaient, le soft power chinois en sortirait rapidement défait.
Cet incident rappelle le traitement hostile qui avait été réservé à des étudiants africains à la fin des années soixante dix au motif qu’ils courtisaient des chinoises.
Là aussi, la communauté africaine s’était levée d’un seul bloc.
Le socialisme scientifique qui unissait alors certains pays d’Afrique à la Chine populaire s’en est trouvé alors durablement ébranlé.
Tombe le verdict de notre ami Guinéen.
- Face à de tels incidents, jamais l’unité Africaine ne s’est aussi bien portée. Plus de Nigérians ! Plus de Nigériens ! Plus d’Ougandais ! Cette fois, nous nous trouvions tous ensemble, unis pour défendre notre dignité.
L’ignorance comme explication
Le demi frère de Barack Obama, Mark Ndesandjo, est un fieffé optimiste.
Résidant en Chine à Shenzhen (深圳), ce merveilleux pianiste parle impeccablement le mandarin.
Sa vie est une heureuse composition.
Juif et noir, marié avec une chinoise.
L’intelligence pétillante, il considère qu’il faut laisser le temps au temps.
« Nous sommes au temps de l’ignorance, précise-t-il. La greffe prendra comme c’est le cas dans des villes très mélangées aux Etats-Unis. Voici trente ans dans le quartier de Watts à Los Angeles, noirs et jaunes bataillaient. Maintenant, ils regardent ensemble les Angeles Lakers. »
L’ignorance (wú zhī 无知), le mot est lâché.
Peut-être ne s’agit-il que de cela, d’une totale ignorance de l’autre.
Outre les décennies d’isolement de la Chine et l’extrême capitalisme décervelé actuel, comment pourrait-il en être autrement lorsque seuls deux mots suffisent pour désigner l’homme noir.
fēi zhōu 非洲, soit dit l’Afrique.
Pour les chinois l’homme noir est nécessairement d’Afrique même si il est d’un autre continent.
De surcroît, très rares sont les chinois qui situent la diversité des cultures en Afrique, qui distinguent le Nigeria du Ghana et ainsi de suite.
hēi rén 黑色, noir.
Plombés par la bêtise, certains disent « Hei gui lai le (黑鬼来了) autrement traduit : « Attention! La bête noire arrive ! »
Au delà de ces mots, s’installe un incommensurable silence.
L’on ne veut pas en savoir davantage sauf, comme c’est le cas à Canton, si ces derniers sont de bons clients, expédiant babioles et autres effets vers l’Afrique, en achetant comptant.
L’ignorance n’est pas un mal en soi.
En Chine, s’entend ce bon mot bù biàn shū mài (不辨菽麦), ce qui signifie être incapable de distinguer les haricots du blé, en d’autres mots, être d’une ignorance crasse.
D’autres associent le mot ignorance à une énigme (mèn hú lu – 闷葫芦).
L’homme noir serait une énigme. L’on respire alors.
« Plus je vais, plus je m’aperçois que les êtres que je comprends le moins sont ceux que je connais le mieux. Mes amis sont des énigmes ” dit Cioran.
Le rapport à l’autre
Dans son livre, On china (2011), Henry Kissinger souligne que pour les chinois, la chine est la civilisation.
« Si vous ne comprenez pas cela, dit-il en substance, vous ne pouvez pas comprendre ce pays ». Si cette affirmation est exacte, pourquoi diable prendre soin de partager avec l’autre, de s’imbiber d’autres cultures, car toute autre culture serait par essence inférieure.
Et c’est ainsi que l’homme chinois vit en vase clos, dans sa ruche.
Même s’il ne le souhaite pas, comment peut-il se défaire d’une civilisation cinq fois millénaire ?
Peut être faudra-t-il deux générations pour desserrer l’étau et que l’homme chinois se mêle à l’autre, l’autre pouvant être aussi précieux que son pareil.
Doux remède, les femmes chinoises
Heureusement que les femmes brillent dans ce monde sinon il n’évoluerait pas aussi favorablement.
Pour preuve, les chinoises sont le fer de lance d’un dialogue avec l’autre qu’il soit français, américain ou africain.
De fait, 94 % des mariages interraciaux le sont entre une chinoise et un étranger.
A telle enseigne, le frère de Barack Obama dont la femme respire merveilleusement l’histoire de Chine et désormais sa grandeur, le choix de vivre, de connaître l’autre.
A Canton où se trouve une importante communauté africaine, je me souviens des propos d’amies chinoises.
- Si je rencontrais un noir, eh bien, cela ne me poserait pas de problème !
- Comme ils m’intriguent beaucoup, je m’aventurerais volontiers, précise une autre.
A l’aéroport de Canton, un parfum de bonheur.
Une jeune femme originaire de Maoming parle en portugais à son mari, un Angolais. Une embrassade bien chaleureuse juste avant le départ.
Une Shanghaïenne s’interroge, sourire coquin aux lèvres.
- Pourquoi n’essayerai-je pas ?
Dans un autre de mes commentaires, je suggérais l’idée que la Chine gagnerait sa course au soft power en le plaçant dans le cœur de ses femmes.
Fort de sa puissance désormais retrouvée, la Chine a besoin d’une armature légère pour étendre son influence par delà ses frontières.
La chinoise est aux avant-postes.
S’en allant avec son sourire, sa grâce, souvent décomplexée, elle apporte naturellement sa contribution à la construction du soft power chinois.
Quelle belle leçon d’humanité a donné la maman de Lóu Jìng, cette jeune chanteuse qui est apparue à la télévision chinoise en 2009 dans une émission de variété et aussitôt décriée parce que noire !
Malgré les quolibets, la maman s’en moquait. Même si le père de Lou Jing n’était qu’un amour de passade, elle s’est tenue à une seule ligne : Avec Lóu Jìng, nous avancerons ensemble vers un bel horizon.
- Je suis chinoise, s’exclame d’emblée Lóu Jìng, comme on peut l’être depuis cinq mille ans, d’un bel élan, dit-elle le regard doux, sourire généreux.
- De toute mon âme, je porte bien ce beau manteau, ajoute-t-elle la voix légèrement chahutée par l’émotion.
Shanghaienne, Lóu Jìng a fait souche sur Terre voici une vingtaine d’années, le visage empreint des belles couleurs de son père, homme noir d’Amérique et de sa mère, chinoise.
Suite à sa participation à l’émission de variété, des voix s’étonnent alors que ce beau visage puisse être chinois, arrimé à une civilisation cinq fois millénaires.
Vaguent des mots peu élégants.
Des râles venant de mâles.
La tête envahie par leurs démons.
Au lieu de batailler contre l’absurde, Lóu Jìng rétorque simplement :
- Je suis née en Chine. Comme tant d’autres, l’un des un milliard quatre cent millions d’habitants de ce pays.
Elle ajoute :
- La Chine est un pays fantastique. Plus les années passent, plus je ne vois qu’elle !
Originaires du Henan ou de l’Anhui, ses amis s’appellent Li, Liu, Wang, Yang et Zhang, Lin.
Ou encore Zhe, Ying, Song et Jing.
- Je les remercie de leur amitié jamais démentie comme je remercie mes parents de m’avoir donné la vie. Ils ont oeuvré pour la ronde des peuples, n’est-ce-pas ? ajoute-t-elle, le visage composant avec un beau sourire.
L’on songe en silence à l’avenir.
Le jour venu, Lóu Jìng donnera vie.
Dans quarante ou cinquante ans, son fils ou sa fille deviendra peut être le porte drapeau, la figure de la Chine d’alors.
Homme ou femme de ce monde.
L’illusion vient d’Afrique du sud nán fēi (南非南非).
En Afrique de sud où toutes les races sont dument répertoriées, l’homme chinois est décrété comme noir sur sa carte d’indentité qu’il le veuille ou pas.
Noir sur son passeport, jaune sur son visage, il s’en accommode volontiers.
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