La chinoise, l’africaine, la cause des femmes
Posté par ITgium le 18 octobre 2014
Le récit de jùn mǎ
Prenant souvent l’avion entre Paris et Beijing, le vol étant long, avant l’embarquement, j’emporte des romans achetés en solde.
Cette fois, le livre de Calixte Beyala, « l’homme qui m’offrait le ciel ». La couverture représente une femme un rien blessée, genre candide.
« Va ! » dis je, le regard soupçonneux, ne sachant à quelle farce j’allais être livré.
Je m’assoie à mon siège. A mes côtés, une chinoise.
- Je travaille aux comptes de mes sociétés, soupire-t-elle.
Je lui adresse un sourire en ouvrant le livre. Une lettre d’amour en préambule. Une situation par trop classique : mari, épouse et maîtresse.
« Maigre moisson ! » murmure-je quand soudain ma voisine intervient :
- Que lisez vous ?
En Chine, l’usage veut qu’à toute question soit apportée une réponse concrète. Nuances, gesticulations, oubliez cela ! Je tranche :
- Le livre d’une femme !
Ah ! mâchonne mon interlocutrice en se replongeant dans son bilan.
Je reprends le fil.
La maîtresse se glisse dans la peau d’un homme, bientôt le dévore. Le mâle, une perle des médias s’attable, prend goût. Je fronce les sourcils.
« Qu’ai-je à faire dans un mélo racoleur au scénario entendu ? » C’est alors que ma voisine me coupe.
- Que fait cette femme ?
- Elle s’exerce dans l’écriture
- Combien de livres a-t-elle écrit ?
- 10 ! dis-je au hasard.
- Moi, j’ai construit 10 usines !
Originaire de Wenzhou, Chuanya Wang me raconte sa venue en France à 18 ans. Aussitôt dans les murs, elle tisse des vêtements dans une cave.
- Je tissais tellement que je me prenais pour une bobine de fil » remarque-t-elle.
Chef d’un atelier clandestin à vingt ans, cinq ans plus tard, elle s’en retourne dans le Zhejiang. Dans un garage, elle créé sa première usine.
- Maintenant, ma trésorerie ! s’interrompt-elle en m’abandonnant au milieu du gué.
Benoîtement, je rejoins le couple.
L’affaire se corse, l’amant ne démérite pas, beau parleur, mais il est sur le déclin. Pourtant, la femme n’exige rien, juste l’apesanteur de deux corps livrés l’un à l’autre. Dans la bousculade, la chef d’entreprise resurgit.
- Dix ouvriers au départ, dix mille aujourd’hui ! Et elle ?
Je lui rapporte des bribes. Beyala, ses combats. « Surtout, elle fait peur ! »
- Moi aussi je fais peur ! Les frères Tang n’ont qu’à bien se tenir sinon ils m’auront en travers de leur route !
Une indisposition, la chinoise se lève.
Je reviens à mes pages.
Rien ne va plus, la maîtresse a la peau noire. L’amant s’étrangle, ce corps qu’il louangeait est devenu dangereux. Un extrême danger, pour sa carrière, son public, son honneur. La femme blessée, c’était donc cela ! Dans les filets d’une banale affaire, l’énième épisode du racisme lancinant. « Pas si bête ! » conclus-je, l’œil embrassant le ciel de la Mongolie. « L’amour entre une femme noire et un homme blanc n’a pas d’avenir » soutenait Calixte Beyala voilà quelques années.
- L’avenir ? brusque Chuanya, cela sera possible quand les hommes auront compris qu’ils ne peuvent plus jouer.
Cette dernière a enfin clôturé ses comptes, son BFR est reluisant. Au final, elle est dix fois plus riche qu’une flopée de diplômés d’écoles de commerce.
De son côté, l’écrivain, elle aussi venue de rien, n’en finit pas d’asticoter l’homme blanc jusqu’à le rendre inerte, déjà impuissant.
L’une chinoise, l’autre africaine, toutes deux troublantes d’autorité.
Le même âge, si différentes et proches en même temps, œuvrant à la cause des femmes.
Le mouvement et l’action, l’argent ou l’écriture, cette volonté d’exister.
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