Prise de décision : temps court ou temps long ?
« A long terme, nous serons tous morts ! » lançait John Maynard Keynes, en 1923, dans son « Essai sur
la Réforme Monétaire ». Curieusement ce refrain aux allures millénaristes fait fureur en Chine où l’ouvrage de l’économiste a été réédité à quatre reprises. Comment ce pays à la civilisation vieille de cinq mille ans et, de surcroît, toujours engoncé dans une économie planifiée, se prête-t-il au jeu de l’éphémère ?
La Chine ne serait-elle pas adepte « du temps court » ? Depuis 1978, date du redémarrage de son économie, le développement du pays, d’inspiration opportuniste, privilégie le court terme. Sauf certains projets politiques (conquête spatiale, gros travaux), les Chinois mobilisent rarement énergie et argent sur des engagements à l’effet lointain. Rattraper le retard, prendre des parts de marché, répondre à une immense demande et in fine consommer, toutes choses qui ne laissent guère de place à une structuration de la pensée sur le long terme.
Cette orientation se retrouve dans les discours officiels aussi bien à l’échelle de l’Etat que dans les provinces. Formatés, vertébrés sur des slogans promotionnels, ils valorisent l’exécution plutôt que la réflexion. Ils font écho à une réalité entrepreneuriale évidente, notamment, dans l’aménagement urbain. Tel un ballet infernal, à chaque coin de rue, construction, démolition, reconstruction surgissent nuit et jour. Qu’importe la destruction de bâtisses centenaires ! Sous couvert d’une forte croissance, modernisme et temps court forment un excellent compagnonnage !
A l’inverse Les Européens privilégieraient le temps long. Dans une Europe convertie en un immense musée, les projets de développement sont rares, d’ampleur limitée et à la mise en œuvre compliquée. La réalisation de toute nouvelle construction s’apparente à un chemin de croix. Entre les autorisations, l’activisme des associations de riverains et la réglementation, le temps long s’impose, bientôt interminable. Pareillement, dans les entreprises Européennes, le processus décisionnel est souvent victime d’un simulacre de démocratie. Consultations, expertises et études de marché s’étirent en longueur alors qu’en Chine le chef décide, parfois très vite. Souvent seul compte son intuition, l’idée qu’il se fait du développement de son entreprise.
Dans les échanges entre
la Chine et l’Europe, le phénomène s’aggrave. Possédé par la rumeur, l’entrepreneur européen se méfie de tout : des fondamentaux de l’économie chinoise, de la convertibilité, de la contrefaçon et des escrocs ! Du coup, il agit tardivement et trop méthodiquement. Nullement favorable au développement des échanges, ce comportement concourt à l’inhérente faiblesse des exportations françaises vers
la Chine.
Si d’aventure l’européen veut reprendre le dessus, il lui faudra chahuter ses habitudes et choisir, comme mode de fonctionnement, le temps court sans jamais renoncer cependant à ses qualités managériales, sa vraie valeur ajoutée.
François de
la Chevalerie et Franck Filatriau