Scène de vie à Suzhou
Posté par ITgium le 30 décembre 2012
Un jour, Sylvie Lin Jing pleure…
Les larmes de Suzhou
François de la Chevalerie, décembre 2012
- Regarde Sylvie droit dans les yeux, proclame Jay. Lorsque s’annoncent ses larmes, tu assisteras alors au plus merveilleux spectacle qu’il m’a été donné de voir en Chine.
Plus beau que la percée de l’automne dans la Vallée de Jiuzhaigou.
Plus saisissant que la forêt d’Osmanthus à Guìlín.
Plus imposant que la montagne Yulong à Lìjiāng. Plus impénétrable que le Tǎkèlāmǎgān Shāmò.
Le lendemain, j’invitais Sylvie à Suzhou, terre du lait et du miel.
Une journée du mois de juin, ensoleillée et paisible.
Pour l’occasion, Sylvie portait une robe blanche immaculée comme un hommage à la vie.
Sous le coude les romans de Lu Wenfu, nous avons arpenté les ruelles, enjambant les 160 ponts de la ville.
Le déjeuner venant, nous avons fait halte dans un restaurant traditionnel installé dans un vieux temple aux portes en bois rouge.
Dans une vaste salle, des familles chinoises au grand complet, fêtaient gaiement de véritables agapes.
Un chahut convivial, du bien être.
Sylvie pose son regard sur le menu, choisit les plats locaux, un Biluo Xiaren, un Xigua Ji et une soupe bien appétissante.
Le serveur prend la commande.
Soudain, un flot de larmes se répand sur son visage.
Qu’ai je fait pour lui suggérer une telle peine ?
Je cherche une réponse en l’observant intensément comme pour démêler les fils d’une histoire que je ne comprends pas.
Son visage chavire peu à peu dans une insondable tristesse.
Les larmes se répandent, bientôt occupent tout son visage.
Autour de nous, le silence.
Tous les regards se portent sur Sylvie, attendent un sourire.
Toutes les familles sont tétanisées par sa peine.
Désormais immobilisés, les serveurs retiennent leur souffle.
Je pose alors ma main sur son front.
S’accommode sur mon visage de la compassion.
Elle pleure toujours, des larmes en abondance sur ses joues.
Dans un élan, je lui murmure mon amour.
- Pourquoi pars-tu ce soir ? s’exclame-t-elle d’une voix ombragée. Peut être pour ne jamais revenir ?
Pour ma défense, je parle confusément, une volée de mots inaudibles.
Une urgence à l’autre bout du monde m’attend.
Un argumentaire dérisoire.
Une main se pose sur mon épaule.
Le Directeur du restaurant venu à la rescousse.
- Pourquoi faites vous pleurer votre amie ? demande-t-il.
- Qui êtes vous Monsieur pour faire tant mal à une si belle femme ? interpelle une vieille dame au visage centenaire.
- Quelle arrogance, cet homme là ! renchérit une autre dame.
- Ces yáng guǐ zi nous ont imposé naguère les traités inégaux, la déchéance de notre pays millénaire, ne voilà-t-il pas qu’ils poursuivent leur scélérate ambition avec nos femmes ! tonne cette fois une voix d’homme.
La salle applaudit, se gave d’un slogan : “Out of China!“
Je me lève alors.
Je me retire lentement à reculons, le regard fossilisé sur elle.
Cette fois, ses mains cachent son visage.
Ses cheveux arrosés de larmes.
Dans le restaurant, tous les regards se portent sur moi, entre condamnation et haine.
Maintenant dans la rue, j’appelle le premier taxi.
Direction, l’aéroport de Pudong.
D’un seul tenant.
Cette fois, une larme atteint mon visage.
Une pensée.
Comment puis je rester une seule seconde de plus en terre de Chine après avoir infligé une telle douleur à une femme ?
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