Des scientifiques au chevet de la « Symphonie du destin » de Li Chevalier
Posté par ITgium le 9 septembre 2015
Peinture et astronomie
Le récit de jùn mǎ 俊 马 故事 (François de la Chevalerie)
Voici quelques temps, au club d’astronomie de Tianjin, à l’issue d’un débat chahuté sur la théorie des cordes, surgit une joute oratoire entre chimistes et physiciens. Question redoutable jamais résolue : Comment les connaissances de chacun s’interpénètrent-elles pour comprendre un univers par trop méconnu ? Les physiciens soutiennent qu’ils ont l’avantage, les chimistes réclament leur place.
Bataille d’opinion, chacun plaide pour sa cause.
C’est alors que le professeur Zhang, le Directeur du Club, se tourne vers moi pour me demander mon opinion. Fait-il aveu de naïveté en pensant qu’un étranger puisse départager deux clans irrémédiablement hostiles ?
- Peut être pourrions nous nous reporter à l’œuvre d’un artiste ? dis-je en bottant en touche.
- Avez un nom en tête. ? Il serait heureux d’assagir le débat ! proclame le Professeur Zhang.
Pris au dépourvu, je me souviens alors d’un peintre que j’avais rencontré voici plusieurs années à Pékin et dont la patte m’avait favorablement surpris.
Son nom, Li Chevalier, une femme de belle tenue tout en longueur, sourire florissant au visage, les yeux gourmands. D’ailleurs, lorsque je l’ai croisée, elle balayait du regard le paysage, attrapant tout au passage jusqu’à la moindre nuance. C’est ainsi qu’elle me saisit au vol.
D’emblée, elle s’étonna que nos noms fussent si proches.
- Sommes nous seulement du même monde ? demandait l’empereur de Chine, Ming Wanli de la dynastie Ming, à Matteo Ricci (Lì Mǎdòu 利玛窦) lors de leur première rencontre en 1601.
Le jésuite italien dessina alors des mappemondes, au centre la Chine ; à l’ouest, l’Europe.
- Sommes nous d’une même famille ? poursuivait Xú Guāngqǐ (徐光启), l’astronome traducteur d’Euclide, au même Matteo Ricci dont il devint le meilleur ami.
- Bien que l’homme soit effrontément seul, il appartient à un corps solidaire que l’on nomme la fratrie universelle, suggère l’écrivain Gao Xingjian, dans Yī gè rén de Shèngjīng (一個人的聖經).
Ce sont les questions inlassablement que je me pose à chaque rencontre.
Tout à ces réflexions, je vante l’œuvre de Li Chevalier dont je suis le travail depuis plusieurs années.
- Sachons bousculer notre orgueil de scientifique ! s’exclame le professeur Zhang. Laissons nos regards prendre à témoin un tableau de Li Chevalier. Peut être pourrions nous alors mieux comprendre ce qui nous distingue, ce qui nous unit et ce qui va bien au delà de l’entendement ?
Je présentais alors une image extraite du tableau « la symphonie du destin ».
Sous un paysage parsemé d’arbres volants, des flocons de neige virevoltent dans une atmosphère sombre.
- Plutôt que des arbres volants, ne s’agirait-il pas d’hommes volants ? Interroge Madame Zhou, chimiste de son état. Nullement est-il établi que des êtres extraterrestres aient des formes convenues. D’ailleurs, j’ai fait ma thèse sur les réactions chimiques des arbres face à des insectes défoliateurs, amateurs de sève. Je peux vous dire que les arbres sont doués d’intelligence. Ils refoulent autrui bien mieux qu’on le pense mais delà à dire qu’ils volent ?
- Ces arbres ne semblent pas retenus par des racines. Qu’ils puissent survoler la terre en la frôlant à peine m’interpelle, renchérit le professeur Wang Zhe. Rien dans la physique ne le permet, du moins, de ce que j’en sais !
- Serait-ce un monde qui s’éteint? questionne le doctorant Li Hou. Juste avant son terme, voilà un dernier sursaut de vie, des flocons venus du ciel ! Tel un espoir…
- Si donc il s’agit du paysage d’une autre planète, je suis bouleversé, remarque Liu Wei, physicien. Je m’attendais à un florilège de fleurs, des lumières, un vent doux de l’ouest. Non, les planètes lointaines, ce peuvent être des ombres, une seule teinte.
- Quelle audace tout de même ! N’a-t-on jamais dit que l’univers s’apparente à une symphonie ? Mouvements joints ou disjoints selon des proportions insaisissables, échauffement, bouffée d’agonie puis le calme plat, ce peut être cela aussi l’univers.
- Ne soyons pas dupe, poursuit le professeur Zhang, cet artiste nous emmène bien loin, par delà le connu. Nous pensons regarder l’essentiel mais en fait nous ne voyons rien. Nous sommes prisonniers par les images que nous impose notre expérience terrienne. Nullement avons nous assez d’imagination pour nous en défaire. Pourtant, dit-il en levant légèrement la voix, ce tableau se lit tel un message.
Minute de silence.
Toute la tablée de scientifiques dévisage plus encore « la symphonie du destin ». Une vingtaine de personnes s’agglutine, les yeux rivés sur l’image.
- Cette fois je ne perdrais pas un millimètre carré de cette œuvre, prévient Madame Zhou.
Viennent des commentaires, des suppositions, des débuts de polémique. Un débat s’enlise jusqu’au moment où le professeur Zhang intervient.
- Laissons à l’artiste ses secrets. Ce serait lui faire injure que d’imposer notre regard à son univers dont elle seule mesure la complexité. Peut être en sait-elle davantage que nous autres sur les matières qui composent l’univers ? Laissons Li Chevalier la liberté de goûter à ses rêves comme elle l’entend. Rendons lui plutôt grâce de nous avoir libérés un instant de notre misérable orgueil, celui de croire tout comprendre, de croire tout savoir.
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