Les chinois achèteront-ils de la peinture française ?
Posté par ITgium le 7 mars 2014
Le récit de jùn mǎ 俊 马 (François de la Chevalerie)
Voilà peu, lors de mon dernier passage à Paris, une amie m’a entrainé à une réception rue Royale dans un bâtiment haussmannien entièrement rénové.
Un fonds d’investissement chinois a récemment pris possession des murs ayant acquis par la même occasion une société renommée.
Ce jour là, de charmantes hôtesses en qipao (旗袍) accueillent avec délicatesse le tout Paris.
Aussitôt, je les entretiens dans la langue de Bái Jūyì (白居易) les interrogeant sur leur ville d’attache.
L’une est de Pékin, l’autre de Shenyang.
L’ambiance est raffinée.
Dans les rangs, robes longues et nœuds papillons. La Chine est célébrée comme il s’entend, la terre de la grande promesse.
Dans l’assistance, des peintres Français.
Beaucoup se regardent en chiens de faïence.
Quel est donc celui qui aura les faveurs du Prince ?
Poussés par leurs agents, ils arpentent des salles assez spacieuses. Silencieux, s’interrogeant. Il guette le mécène chinois, la poule aux œufs d’or, suggère l’un d’eux.
Mais il se fait rare, presque une exception.
Toutefois, dans un recoin, un membre de l’espèce. Cravate orange, espadrilles jaunes, veste froissée, une atteinte au bon goût occidental.
- N’ayez crainte, s’exclame ce dernier l’air hilare, nos gênes se ressemblent à s’y méprendre.
Chaleureux et à l’esprit vif, il est issu d’une famille bien établie de Nanjing, la terre des mandarins (guān).
Malgré sa tenue quelque peu décalée, il s’enquiert de tout avec le souci de comprendre. Et c’est alors qu’il glisse dans mon oreille.
- Sommes nous à Paris ?
Je comprends la malice. Paris ne serait plus Paris seulement une ville d’autrefois s’enlisant dans la paresse, gavée à de seuls vestiges légèrement rancis.
Il m’accable plus encore :
- L’autre jour, j’étais à Hongkong. La semaine dernière à Singapour.
Suit l’inévitable récit de ses achats, des millions par ici, des liasses par là.
- Dans une Chine qui en fabrique à la pelle, s’en comptent même jusque sur les rebords des fenêtres, avoue-t-il.
Il s’emmêle dans les chiffres, il en rit aux éclats.
L’assistance l’observe avec étonnement, avec gêne. Certains s’éloignent.
N’auraient-ils pas l’intuition misérable ?
Notre homme est le maitre des lieux !
Chinois dans l’habit, les manières, chinois jusqu’au fond de l’âme, sincère et débonnaire si loin des jeux de rôles qui entachent la vie des salon parisiens.
Comprendre le monde chinois
Une semaine plus tard, je le retrouve parmi d’autres chinois, une brochette d’homme d’affaires très en verve.
Au fil d’une conversation soutenue par des bouteilles de baijiu (白酒), je recueille ces propos.
La peinture française au risque du goût chinois
La peinture française est très éloignée de l’imaginaire chinois.
Rarement compose-t-elle avec une civilisation cinq fois millénaires.
Comment plaire aussi à des acheteurs dont l’immense majorité ne dispose d’aucune connaissance de la peinture occidentale.
Le profil type d’un acheteur en Chine correspond à un homme s’étant outrageusement enrichi dans les vingt dernières années.
Nullement a-t-il eu le temps de parcourir les musées.
Pas davantage a-t-il lu des livres d’art.
Tout juste connaît-il de la France dài gāo lè (戴高乐) autrement dit le Général de Gaulle.
Bougrement chinois, il est essentiellement à la recherche de ses racines bien davantage que toute autre aventure à l’autre bout de la planète.
Zhāngjiājiè (张家界) plutôt que Barbizon !
Un tableau est un actif parmi d’autres.
Cependant, un homme riche est homme avisé.
La remarque est encore plus pertinente en Chine. Effrayé par la bulle immobilière, craignant d’être dépossédé du jour au lendemain de ses biens par le centralisme démocratique très en pointe depuis l’arrivée de Xi Jinping au pouvoir, il veille à diversifier ses actifs.
Plutôt que des prises de participation dans des start-up à la santé incertaine, l’art est un horizon possible.
Le moment venu, il habillera son entreprise avec des tableaux colorés.
Quels seront les heureux élus ?
Même les peintres français les plus reconnus trouveront difficilement preneurs en Chine, remarque un jeune chinois.
Il faudrait un singulier tour de France pour qu’un tableau français contemporain rentre par la grande porte.
- Que voulez vous dire ?
- La grande porte, celle de la rationalité. Un tableau, c’est un actif. S’écoule une année et, au bilan, la mise doit doubler.
Je lui oppose le cas de la bourse de Shanghai, véritable montagne russe.
- Sur le long terme, un ROI doit être toujours favorable.
Discours couru d’hommes d’affaires par trop sûr d’eux mêmes !
La concurrence chinoise
Beaucoup d’artistes français sous estiment la déferlante chinoise dans le domaine de l’art moderne, raconte un autre.
Avant de se perdre dans d’inutiles illusions, beaucoup gagneraient à faire le tour de Dashanzi (大山子) à Pékin ou du Redtory (红专厂) à Canton.
Dans ces immenses usines désaffectées dédiées à l’art moderne, les galeries s’imposent comme des musées éphémères. Chaque jour, s’y déversent de nouvelles toiles qui s’évaporent la semaine suivante. Aujourd’hui des fins fonds du Henan. Demain, du Shanxi.
Mais cela n’est rien si l’on songe à Dafen (大芬).
A la sortie de Shenzhen (深圳), ce qui était seulement un village est devenu une ville exclusivement dédiée à la peinture.
En un éclair de temps, 8000 artistes s’y sont installés avec le soutien bienveillant des autorités.
- Nous avons la ville du bracelet, de la chaussure, de l’oreiller, nous aurons la ville de la peinture, s’est exclamé le Maire, le jour de l’inauguration d’un hall d’exposition.
A Dafen (大芬), les artistes sont des forçats comme ils pouvaient l’être dans les ateliers de peintre Italiens au XVIème siècle. Selon le maire, ils produiraient le 60 % de la peinture à l’huile du monde. Ce chiffre peut paraître invraisemblable mais lorsque l’on connaît le dynamisme de villes du Guangdong, cela s’entend.
Parmi les ateliers de reproduction et des chaines presque industrielles, dans les interstices, surgissent des peintres honorables.
Portons donc nos regards, le talent se découvre à l’œil nu.
En Chine, la peinture est un instrument de paiement dans le monde des affaires.
Je l’ai appris incidemment.
La pratique est peut-être connue des spécialistes de l’art mais j’avoue mon étonnement lorsque je me suis rendu à Chongqing dans la demeure d’un général à la retraite. Dans sa maison en forme de temple, grouillaient des calligraphes, tous à l’œuvre.
Charmant et affable, le maitre des lieux m’invite à prendre un thé.
Vient la raison de ma visite, une demande d’appui pour l’installation d’une usine à faire parvenir au Maire.
- Vous souhaitez que je parle au vice Marie ? demande-t-il.
Je dodeline de la tête.
Aussitôt une jeune femme déroule une calligraphie. Quelques coups de pinceau élégamment posés. Rien d’irrésistible ! A côté, mon associé chinois a le teint palissant. Nous passons à la caisse. Pour le prix d’une messe basse au Vice Maire, nous avons été de notre poche pour 300 000 yuans (40 000 euros).
Recueillant notre chèque, le Général s’en amuse.
- L’art n’a pas de prix ! dit-il.
Le marche de la calligraphie prospère grâce aux dessous de table.
Peut-être est ce aussi le cas pour le marché de l’art moderne ?
La femme chinoise, l’ange gardien des peintres français
Dans un de mes commentaires, Le soft power chinois dans le cœur d’une chinoise[1], je conviens que la femme chinoise est aux avant-postes du changement des mentalités en Chine.
Généralement ouverte sur le monde, se mélangeant davantage que les hommes de son pays, elle apporte naturellement sa contribution à la construction du soft power chinois.
Pour se répandre par delà les monts, voire se renforcer, la culture chinoise a besoin d’apports extérieurs.
C’est donc la femme chinoise qui sera la meilleure introduction en Chine des peintres français.
Elle cherchera à les accommoder dans un monde qui s’éveille pas à pas à l’autre.
Peindre la Chine, c’est aimer la Chine
Peindre des paysages à la chinoise forcera le respect. Outre la reconnaissance d’un talent, ce geste est un signe d’amour qui ne laissera personne indifférent.
J’en veux pour preuve un chanteur Nigérian, Hao Ge, qui en reprenant le répertoire musical populaire chinois a bouleversé l’écoute des chansons chinoises.
Ensuite, les échelons gravis, le peintre français pourra revenir à ses premiers amours et, comme le disait Friedrich Wilhelm Nietzsche, « faire de l’art pour se venger de la vie ».
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