Récits de Junma (骏马)
(1) La Tianjinoise, douceur et sérénité
(2) La shanghaïenne
(3) My date with Dèng Lìjūn
(1) La Tianjinoise, douceur et sérénité
A priori, elle n’a pas de réputation particulière.
Ni sa physionomie, ni sa taille, pas davantage son allure ne lui confère une aura singulière de celle qui se répande jusqu’à l’autre bout de la planète.
Son malheur serait-il d’être Tianjinoise ?
Vivant à l’ombre de Beijing, Tianjin porte durablement des souffrances.
Ville industrielle ; ville encombrée ; ville polluée ; ville portuaire. Accablées par les mauvaises ondes, les Tianjinoises seraient-elles à l’image de leur ville : pâles, austères, tourmentées, affairées, bientôt épuisées ?
Si cela était vrai, pourquoi alors nombre d’hommes se laissent-ils surprendre ?
Pourquoi le cœur d’une Tianjinoise vaut-il bien mieux que tout l’or du monde ?
D’abord, les femmes de Tianjin présentent une remarquable qualité que l’on retrouve chez l’ensemble de la population de la ville.
Une gentillesse naturelle, jamais feinte. S’en nourrissant, les femmes de Tianjin sont aimables, chaleureuses.Nullement compassées, elles rient facilement, s’amusent. Toujours généreuses.
Elégantes, elles ne sont pas empruntées comme peuvent l’être les Shanghaiennes. Nullement à la recherche de quelque récompense mal acquise, elles s’habillent honnêtement. Rares sont celles qui paradent ! Rares sont les vantardes ! C’est vrai que Nanjing Lu ou la promenade le long du Hai He ne sont pas autant concourus que le Bund.
C’est vrai aussi qu’elles n’ont pas à lutter contre les hordes de Russes, d’Ouigours, de Philippines qui tiennent la dragée haute aux Hans dans les bars de Sanlitun et au China Bar à Chang’an Jie. A Beijing comme à Sghqnghai, la chasse est rude. L’on tire à vue ! Peu d’amis dans la mêlée ! Si d’aventure il se trouve une Bejinoise dans les bras d’un milliardaire, elle se tiendra à carreau ! Elle sait que sa survie ne tient qu’à un fil. Du jour au lendemain, il se comptera toujours plus belle, plus jeune, pour rafler la mise.
De ces jeux, la Tianjinoise se moque.
Au lieu d’être sur le pied de guerre, elle offre son sourire. Regard de velours, charmante, bientôt accomplie. Elle trouve le mot juste pour convaincre. Elle s’y exerce sans éclat mais avec détermination.
Déjà la voilà, vous invitant à la fête de l’automne avec sa famille. L’on vous salue alors comme si vous étiez des meubles, de leur histoire. Fils, l’ami, l’amant, le faguoren ! La gorge siphonnée au ganbei, l’on vous attribue un nom chinois.
Junma (骏马), ainsi je me nomme en pays Bohai.
Vous voilà honoré, Junma, d’une gloire dont il est craindre qu’elle ne devienne maritale.
La Tianjinoise a-t-elle manigancé cela ? Est-elle la pièce maitresse d’un plan ourdi de longue date ? Sa famille est-elle complice ?
L’on rage, se maudissant ! En Chine, la candeur est un vilain péché. La traitrise ne durera pas, un seul objectif, la porte de sortie !
C’est alors que le visage amusé, la Tianjinoise vous dit : « Junma, j’ai appelé un taxi. Comme votre chinois est hésitant, j’ai écrit votre adresse sur un bout de papier. Vous le porterez à la connaissance du chauffeur et tout ira bien. »
C’est qu’elle pense à tout la Tianjinoise ! A nos peurs d’homme comme aussi à nos défaillances linguistiques. Talentueuse diplomate, elle ouvre même des perspectives à notre connaissance terriblement molle du chinois.
La nuit avancée, elle n’ira pas vous surprendre par un coup de téléphone jeté au hasard. Pas davantage le lendemain. Peut-être vous contactera dans la semaine ? Rien n’est moins sûr, elle n’est pas du genre à s’impatienter ! Le silence est son arme.
Son peuple a vécu cinq mille ans, elle saura retenir son souffle le temps qu’il faudra.
Vous voilà démuni ! Tant de qualité portent ombrage à votre situation d’homme libre.
Bousculé, l’on hisse alors la voile, l’appelant, l’interpellant, quémandant. Rampant, à genoux, l’on promet la vie !
« Le voyage s’annonce heureux » disait Deng Yingchao à Zhou Enlai, son futur époux, qu’elle rencontra à Tianjin en 1923.
Traversant mille péripéties, Ils vécurent cinquante ans l’un auprès de l’autre, s’aimant, d’adorant, protégeant le peuple chinois.
François de la Chevalerie (Junma)
Octobre 2009 (http://tianjin.unblog.fr).
La shanghaïenne
Visage rigide. Sourire carnassier. Parfois elle s’offre un sourire de convenance, habile et séducteur.
D‘une beauté aléatoire.
Plutôt d’un naturel élégant, décolleté à peine perceptible, les escarpins compensées, un sac selon les saisons. Son allure suinte le goût à l’argent. Généralement, elle se promet une vie confortable à l’abri du besoin dans un monde souvent réduit aux apparences.
Une vie rythmée autour de promenades dans des centres commerciaux sans âme. Où dans chaque magasin, des vendeurs efféminés se précipitent vers elle. Elle raconte alors ses désirs, cuir et joaillerie. Sans attendre, elle achète des marques reconnues, emblèmes d’une richesse récemment acquise. Elle achète toujours au delà du nécessaire pour prouver qu’elle existe même dans la futilité.
Parfois elle est conviée à une exposition, un peintre occidental ou une relique égyptienne. Ou à un concert, violon et violoncelle. Elle s’y rend mécaniquement. Surtout une obligation. Se bouchant les oreilles, elle regarde vaguement des toiles centenaires. Elle a l’œil plutôt sur l’ombrelle d’une jeune femme supposée concurrente qu’elle déteste aussitôt.
Aux abords de la trentaine, une inquiétude la taraude. Pressée par mère et tantes, l’hymen devient son seul objectif. Guettée par de lancinantes migraines, elle consacre alors son temps à la recherche d’une proie avec laquelle elle frayera pour mettre au monde un enfant unique aussitôt confié à une lointaine belle-mère habitant les provinces reculées de l’Anhui ou du Hunan.
A Shanghai, entre femmes règne une compétition féroce dont l’échelle de valeur est la fortune de leur homme. Elles disent « leur homme » plutôt que leur amoureux. Car elles exigent de lui qu’il tienne son rang. Jamais elles ne lui reprocheront d’être édenté, imberbe ou chauve, pétant ou rotant, l’essentiel étant qu’il s’accommode de son caractère surtout de sa soif de luxe lequel se fera croissant avec le temps.
Pauvre homme, il n’oppose pas la moindre résistance. Songeant désespérément aux câlins de minuit, il s’incline.
Malgré tout, la shanghaïenne le rudoie. Pour tout remerciement, elle lui offre plainte et complainte. Pourquoi ne l’a-t-il pas assez couvert de cadeaux ? Pourquoi ne l’invite-t-il pas dans les palaces qui pullulent à la sortie Shanghai où pourtant les journées se passent autour d’un écran de télévision ou en pianotant son téléphone portable.
Du coup, son homme est penaud. Profil bas devant sa femme, il lui laisse la monture. A force d’étouffer, de vivre sous ses cris, il se meut en androgyne. Par dépit peut être, l’air ahuri, il traine sa silhouette comme une femme mais mange comme un homme, tel un malpropre.
Le soir venant, dans des bars fraichement inaugurés où s’agglutinent des occidentaux désœuvrés, la shanghaïenne savoure sa réussite, la tête emportée par l’alcool. Jonglant entre des bières exotiques, l’œil guettant ses bagues, la belle s’amuse.
Irrésistiblement, l’ennui guette.
Un ennui profond proche d’une sensation d’inexistence. Comment résoudre l’aberrante équation d’une vie banale et confortable à l‘abri d’un hermaphrodite aussi ennuyeux qu’un pneu de secours ?
Dégagée de tous soucis matériels, elle cherche alors un amant, cette fois un homme sans le sou, un gigolo australien ou un ancien marine de la 82eme division aéroportée, mais qui la fera un peu rire en l’emmenant regarder des match du NBA, juste le temps profiter de la vie avant que sa beauté se fane.
François de la Chevalerie (Junma)
Juillet 2012
My date with Dèng Lìjūn
De François de la Chevalerie (jùn mǎ 俊 马)
One day on earth.
By the year of 1992, I had the outstanding privilege to meet Mrs. Dèng Lìjūn commonly named Teresa Teng a day of September absorbed by a beautiful sunset evening at the terrace of the fashionable Deux Magots, place Saint Germain, the deep hearth of Paris.
At that time I haven’t had the Chinese tropism that the one I experienced in my today daily life in Tianjin. By then, I had a poor knowledge about the Chinese millenary culture. The only books I ever read staging China were written by the Belgium novelist Henri Michaux, “A Barbarian in Asia”, the “Condition Humaine” composed by the Charles de Gaulle Minister for Cultural Affairs, André Malraux, and « the good earth » narrated by the amazing American well minded writer, Pearl Buck. It wasn’t enough to stand any comprehensive opinion upon the Chinese history or culture.
Despite my notorious inconsistency, a friend of mine, a music business Mogul, asked me to meet what he portrayed as the charming voice of china. As I was arguing that I was awful busy, he frowned his eyes and said emotionally:
- Don’t be foolish! She’s the greatest! You will lose quite everything of your short and gloomy life if you don’t talk with her at least a couple of hours.
I protested heavily telling him that I wasn’t familiar with music, even more with the China idiosyncrasies. Besides, I was genuinely ignorant of the Chinese singers.
He took me by my arm and strongly advocated imperiously his invitation.
- This lady is Chinese, but not the average one. Remember that ! There are two Deng in china, both unequalled, both talented by God’s hand, both endowed with the seeds of greatness. Deng, the man! A prominent communist, a long march veteran. Not a blind hearted one, not an orthodox static-centrist. The opposite, a man gifted by an overwhelming in-depth common sense. Since a decade, he is reshaping china. And Deng, the woman. A native from Taiwan granted by a splendid voice, singing alternatively in Japanese, Chinese, Cantonese and English. Do you know someone able to do so? Remember that! The two Deng are the two faces of the same universe. Altogether they are rebuilding the Chinese spirit as it stands in the old times. What I am asking you is to keep something of her mind. A whisper, I mean.
Then he called her and arranged the meeting with no more interference from my part.
The day comes.
My start was awfully bad. I arrived lately, disheveled and unshaven. Being on time for the meeting, she was sitting nearby a window, holding her face in her hand, like Simone Beauvoir in the mid fifties, allowing his gaze to wander. She was on her forties, the cheeks somewhat puffed, a warm smile. A blue lace dress, a sweater over the shoulders
- Teresa Teng, I presumed?
- You’re François?
- I am just what I am, a human being but you are much more than that, an idol, an icon. I heard that some people pray for you before sleeping.
She laughed and said:
- I am just a woman embracing her way in the today’s life. That’s enough for me and that’s all!
- I am not sure of that. You have got a praiseworthy background, lot of songs spreading their faith of love all over the world. And as far as I learn, some lovers reached the moon. I will tell you straightly. I would need more than one year, night an day, to listen all your songs. That’s uncommon!
- And imagine, she said assuming a mischievous smile, if you have to memorize all of them. It takes you more than all your life. So, you will get buried with my lyrics. Are you so friendly to do so?
- That seems an unbearable task! If it should happen, I need to get urgently an appointment with God! I will ask him to insert in my brain a talent micro ship. Being a mid human a mid computer I would perhaps got the chance to meet this challenge. And even so, I am not sure to reach that goal.
- What song of mine do you know?
- What an embarrassing question? I am so sorry. I never heard any of your songs.
- Mr. Blanc (the music mogul) told me that you are…
- I do not know what he told you.
- He said that you are like a music critic, a specialist.
- What an uncomfortable situation! I am no more that Mr. Blanc old mate.
- Great! It is like a new start for me. So I am returning to my first time when I was unknown. Not more that an average Taiwanese mountain girl with Hebei roots.
- If you have that possibility, will you return to the future?
- Ten thousand times sure! Music business is not always a source of happiness. I read something about Edith Piaf. She has a prodigious voice, an enormous talent. She was in icon but she was also deeply unhappy at such level that she died very early.
She remained silent a moment, her eyes absorbed by the cross of the Saint-Germain church. At that time, I realized how gorgeous and elegant woman she was, endowed with an extreme sensitivity. Then she took a long breath, clenching his hands. She stared at me, as she wanted me to witness that moment. Rarely in my life, I felt such strength in somebody eyes.
The conversation took another turn. I have more trouble in finding my words. Silences becomes much more frequent. Suddenly, I asked her a question that I consider retrospectively as bizarre and hazardous.
- How do you feel Chinese?
- I remember a Japanese friend asking me the same question. I gave him that answer. I am five thousand times Chinese as the Chinese civilization. No more no less. Take it or leave it!
- You lived a long period of time in Japan. As far as I know, you are always flying back to this country for some show. What is your outlook of a country that hurts so deeply China in the late thirties?
- When I came to Japan at the late sixties, I was a young singer. In those years, few Chinese artists were acting in the Japanese scene. Because of my concern about my people history, I remember that an uncontrollable force impulse me to give my best. Unconsciously, I was trying to setup a bridge of friendship between Chinese and Japanese. Most of my songs are love songs. When I drew love between a man and a woman, Japanese and Chinese ties are also concerned.
- Like a subliminal message?
- Quite the same story! Between a man and a woman, sometimes they loved each other sometimes not. If this happens, my ambition is to encourage them to love each other once again. As the years passed, I assumed this message for the two countries. Of course, at my level, that’s a tiny contribution. Because fate has given to me a voice, I had to make sense. I bring my stone.
- Why did you never play in China? Isn’t the same story?
- I am a love singer no more than that. What I am sure about, you shouldn’t impose love by decree. Love is intrinsically a subsequent part of freedom. A man and a woman need to impose to themselves a complete understanding of their freedom: the freedom to choose each other, the freedom to give birth to a wonderful feeling. That’s the today china main challenge: if both don’t radically accept freedom, love between the RPC and the RC should be always weak.
She stopped a moment to breath deeply and added in a gentle voice.
- China will be a great country when the spirit of freedom will flourish everywhere. As a native of the Taiwan, I consider that we don’t have to build weapons, warships or fighters but just talk about love between us.
- Some sources said that you are a secret agent from the Taiwanese bureau?
- Are you joking? Me a secret agent? Was Edith Piaf a secret agent? Do you pretend that I have the look of a secret agent? That’s so funny!
- Marlene Dietrich has this reputation!
- It is true that I would love to see in my lifetime my people housed under the same roof, a single banner. It would be the completion of my most beautiful dream.
As silence felt between us, I wasn’t able to ask her another question. As I listen her during this priceless interview, I become to realize how exemplary she was: a model of beauty, in-depth class and charisma, altogether evolves in a beautiful spirit.
I asked her to join me to attend a piano concert in the church of Saint Germain. A Rachmaninoff sonata will be played.
After the session, we walked a few miles through the Paris streets, crossing the Seine River. We talked about the mysteries of the life. Destiny and fate. She was exuberant arguing as well. Lastly, we reach the old-fashioned Brasserie, Chartier, when we have dinner. I suggested her to eat an andouillette sauce moutarde, the famous meat of this restaurant. I didn’t recall how many times we laughed together on any subject. It is then that a waiter went to our table and said:
- A man and a woman so happy! That’s the purpose of love!
I turned red while she posed a sweet smile on me.
The meal ended, she thanked me for this evening. On her way to take a cab, she said:
- Please, don’t communicate my word to anybody. Just have it classified! Be cautious! Today world is not like a love song.
As I intended to take her hand, she concluded:
- Don’t be romantic! You told me that I am Icon. An icon doesn’t love anybody else than her mirror!
Then she laughed and got into the cab.
I then understood that I had to stay a man in the crowd away form any useless dream.
I never saw her again.
François de la Chevalerie (Junma)
Juin 2012