Islam en Chine, une lecture particulière
Posté par ITgium le 2 septembre 2013
Le récit de jùn mǎ 俊 马 (François de la Chevalerie) d’après l’histoire vécue de Mohamed Yassin Al-Abid
L’Islam serait-elle une belle affaire en Chine ?
C’est tout de même un comble que cette religion si chahutée de par le monde suggère ici de l’indifférence, telle une absence !
J’ai passé trois de ma vie à Tianjin, portant volontairement et fièrement ma foi sans jamais la dissimuler.
L’indifférence dans la tête, zhì zhī bù lǐ (置之不理) !
Pourtant pas une seule fois n’ai je été sommé de m’expliquer. Pas une seule fois ne suis-je parti à l’assaut contre quelques insidieux poncifs. Jamais de remarque lâchée incidemment ! Pas une seule fois n’ai je été amené à combattre l’hydre, les voix s’emmêlant !
Pendant trois ans, j’ai été condamné à un curieux silence, le sujet de l’islam ne s’offrant jamais au hasard des conversations.
- Mohamed, me suis-je dit, es tu bien l’homme que tu prétends être ?
Bien évidemment, je répondais favorablement m’en allant une fois par semaine à la qīngzhēn sì (清真寺)[1] de Tianjin, tout imprégné de ma foi xìn yǎng 信仰.
Pas une seule fois n’ai je croisé un regard surpris ni à l’entrée ni à la sortie de l’édifice. En Chine, vous rentrez dans une mosquée comme dans un restaurant ou dans un abribus. Qui s’en inquiète ? Jamais personne ne vous guette. Pas un murmure à l’ombre. Vous vous faites autant remarquer qu’une légère brise passant par là.
Eprouvé par cette surprenante indifférence, j’ai forcé les traits en me présentant sans détour :
- Mùhǎnmòdé mùsīlín[2], (穆罕默德 穆斯林)
Jamais personne n’a relevé l’assortiment de circonstance. Aucun trouble dans le regard.
J’ai fait alors front en osant davantage.
- Mùhǎnmòdé mùsīlín fǎ guó rén[3], lançai-je devant chaque nouvel interlocuteur.
- Français comme le général de Gaulle ! me répondait-on d’une voix souvent enthousiaste.
Je racontais alors mécaniquement l’histoire de l’homme du 18 juin. J’évoquais la libération de la Provence, les régiments d’Afrique, les combattants musulmans.
Solidaires de ces épreuves, certains évoquaient spontanément l’occupation japonaise, source de bien de malheurs. Cependant la plupart se murait dans un silence.
Je me présentais encore sous le nom de « Monsieur Ma (馬) » lequel nom de famille chinois témoigne d’un possible ancêtre musulman.
Silence dans les rangs.
Silence toujours, ce silence qui perdure et trouble mon besoin légitime d’émotion.
Je poursuivais ma quête, revêtant une armature de combat, une djellaba.
Cette fois, je relevais des sourires amusés. Etait-ce lié à ma foi durablement enracinée ou seulement l’effet d’une tenue jugée originale. Je m’avouais vaincu reconnaissant qu’il n’y a pas de malice à rire d’une d’étoffe courant jusqu’aux pieds.
C’est alors qu’un ami m’a sermonné.
- Oublie ton cas ! Ne joue pas dans l’insignifiance ! Pense plutôt aux Huis, aux Ouïghours, les minorités musulmanes en chine. Sont elles seulement bien traitées ?
Pour le savoir, je me suis rendu dans un restaurant halal qīngzhēn cài (清真菜) ou autrement dit « la nourriture de pure vérité », une fois chez les Ouïghours (维吾尔/維吾爾), une autre chez les Hui (回族). M’adressant à des serveuses médusées, je fis état de mon socle. Elles se consultèrent du regard cherchant à comprendre ce que je voulais bien dire.
- Vous souffrez de l’omnipotence des Han. Moi, le musulman étranger, je vous suis solidaire, m’exclamai-je avec allant.
Bâillement agacé chez les serveuses. Décidément, je les ennuyais. Trompant ma déception, j’ai pris une bière comme chasser l’intrus, une lézarde dans ma foi.
Incapable de faire sauter cette indifférence, je poursuivais ma vie mollement jusqu’au jour où j’assistais en ma qualité d’ingénieur d’une multinationale à une conférence de promotion d’une zone de développement à Ürümqi (乌鲁木齐), capitale de la province du Xīnjiāng, à l’ouest de la chine.
Commentant les révoltes chroniques des Ouïghours, le Président de séance, un Han d’origine, s’exprime :
- Il leur arrive parfois de parler trop fort. Pour les calmer, on leur donne des moutons.
Eclat rire dans la salle. Le discours achevé, par petits groupes des chinois s’en amusent encore. L’un d’eux commente :
- Que n’ont-ils pas assez de leurs femmes ? Certaines sont blanches comme les russes ou les américaines. Ne sont-ils pas des chanceux ?
- C’est cela leur problème, ajoute un autre. Trop belles pour eux, leurs femmes les épuisent et, du coup, ils se répandent !
Plutôt que du racisme, un discours de machos.
Dans les entrelacs, de l’indifférence ! Et puis, enfin, mater une révolte en offrant des moutons plutôt que des balles, n’est-ce pas heureux ?
Mademoiselle Li
Las, je finis par ne plus me guetter moi même comme je l’avais fait ces dernières années.
Je me suis mis à couver du regard une silhouette lumineuse originaire du Henan, Mademoiselle Li. Sourire doux, rire généreux, elle respirait ce merveilleux goût à la vie auquel tout homme aspire.
Je l’ai invitée à prendre un verre, puis un repas, d’autres encore. A chaque fois je faisais mon show, jouant l’épate, évoquant ma religion, ma culture. Absence de réaction de sa part. Elle s’inquiétait plutôt pour mon logement qu’elle jugeait mal situé.
Au fil du temps, cessant mon manège, je me laissais envahir par un sentiment qui m’était jusque là totalement étranger, l’amour envers une femme. Je ne me souviens plus avoir fréquenté la mosquée de Tianjin pendant plusieurs semaines, j’étais alors tout autre chose, une âme heureuse dans un ciel étoilé.
Comme, Mademoiselle Li et moi, nous nous aimions infiniment, nous avons décidé de nous marier.
Ce fut une belle fête, près de 500 personnes.
Beaucoup de rire, de joie. L’on s’amusait d’un rien, d’un sourire, d’une chanson. Je buvais comme un troupier des breuvages interdits, déclamant à la pelle des wán xiào (玩笑)[4].
La fête achevée, rendue dans une chambre d’hôtel spacieuse, au pied d’un lit inondé de fleurs, Mademoiselle Li s’est tournée vers moi et m’a demandé :
- Penses tu avoir une seconde épouse ?
[1] Mosquée autrement nommée « Temple de pure vérité ».
[2] Mohamed musulman
[3] Français
[4] Blagues
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