Amoureux à Pékin
Posté par ITgium le 28 février 2013
Les Récits de jùn mǎ 俊 马 de François de la Chevalerie, juillet 2011
Un amour à Pekin
Quand Sylvie Lin Jing rencontre l’amour !
Aux abords de l’an 2012, Sylvie Lin Jing est en perdition. Depuis des années, la vie lui offre des hommes pâles ou lâches, fuyants ou absents.
Des relations heurtées, au tournant, masochistes.
Aucun n’a jamais répondu à son attente, pourtant simple à souhait, aimer.
Seulement aimer.
Désormais, une tristesse lancinante chahute ses nuits, le crâne endolori, les larmes aux joues.
Suis je condamné au célibat éternel ? Se demande-t-elle
Elle s’y refuse, toujours prête à aimer.
Aimer mille fois mieux qu’avant.
Aimer jusqu’à l’infini.
Aimer comme il souhaite être aimé.
Aimer sa nature d’homme, cet autre.
Rencontrer l’amour à Pékin
Un jour, Sylvie est de voyage à Pékin.
Une amie de longue date l’invite à prendre à un thé chez elle.
Elle s’y rend avec plaisir, heureuse d’évoquer des souvenirs, les années passées à l’université des Langues de Shanghai.
Son amie l’accueille dans un bel appartement dans le quartier de Cháoyáng Qū.
A ses côtés, un inconnu à l’allure discrète.
L’homme lui tend poliment la main.
Beauté assurée, traits réguliers, son visage surprend.
S’y mêlent élégamment l’Asie et l’Europe.
Naguère, sa mère, une Han originaire de Chángshā s’est laissée émouvoir par son père, natif de Tübingen dans le Land de Bade-Wurtemberg, teuton jusqu’à la corde.
De cette improbable union, surgit Wilhelm.
Longtemps étudiant à la Eberhard Karls Universität, fréquentée en son temps par l’astronome Kepler, Wilhelm est aujourd’hui, homme d’affaire averti.
Il fixe paisiblement Sylvie.
Silencieux, il laisse les deux femmes échanger des souvenirs.
Vague le récit de leurs années de jeunesse.
Entre deux respirations, Sylvie pose délicatement son regard sur lui.
Suit un échange silencieux augmenté sur chaque visage d’un sourire prudent comme d’une invitation.
Sylvie reprend la conversation avec son amie.
Elle raconte un séjour à Paris, des banalités.
Puis elle s’étire, ses yeux bifurquent alors sur Wilhelm.
Cette fois, le visage de ce dernier affiche un sourire conquérant.
- J’ai deux places ce soir à 20 h 30 pour la représentation de Der Fliegende Holländer (德語) de Richard Wagner au Guójiā dà jùyuàn (國家大劇院). Vous…
Sylvie Lin Jing acquiesce favorablement sans qu’il puisse achever sa phrase.
- Eh bien ! S’exclame leur amie. Compte tenu de l’heure, je pense que vous devriez vous y rendre au plus tôt !
Bientôt, Sylvie Lin Jing et Wilfried se retrouvent ensemble dans un taxi en direction de Cháng’ān jiē (长安街).
Paralysés par l’émotion, ils n’échangent aucun mot, seulement des regards furtifs.
Dans la tête de Sylvie Lin Jing, tourbillonne une avalanche de sentiments.
De la peur.
La peur de l’autre.
La peur d’un inconnu, comme les autres.
Jaillit heureusement un vent contraire, une sensation de légèreté, de bien être.
Bientôt apparaît sous un brouillard opaque l’Opéra, un bâtiment en forme d’ellipse, fait de titane et de verre censé évoquer le yin et le yang.
Le temps pressant, ils se précipitent à la porte d’entrée.
Comme elle a le pas lent, Wilhelm la prend par la main.
Dans les murs de l’Opéra, ils se faufilent parmi la foule, trouvent leur place.
Wilhelm lâche sa main, un abandon qu’il accompagne d’un sourire.
Elle répond, les yeux légèrement embués.
Dans la salle, la lumière décline.
Nuit éphémère.
Silence.
Un rideau devant eux.
Sur un fragile filet de lumière, se profile le Chef d’orchestre.
Ils reprennent leur respiration, fixent la scène.
Tonne la voix orageuse de l’Hollandais Volant.
Suivent les vrombissements des cordes.
Les envolées sont tellement puissantes que Wilfried égare sa main vers la sienne.
Elle l’accueille généreusement, glisse la sienne dessous, dessus, hésite, s’immobilise.
Le baryton pousse sa voix, acclame le monde.
Répond Daland, le capitaine norvégien.
Tonne Senta, sa fille.
Des voix qui transpercent, balaient les certitudes.
Sylvie s’incline légèrement vers Wilhelm.
Il comprend l’assaut, accommode ses lèvres sur sa joue.
Comme le monde est étrange, murmure-t-il, j’étais un, je suis deux maintenant.
- Deux dans un… reprend-t-elle, lâchant au passage un sourire.
Le rideau se lève sous les acclamations du public.
Des hourras mérités que le couple naissant accompagne chaleureusement.
Maintenant, ils sortent du dôme avec une sorte de sévérité dans le regard.
Nulle main en partage.
Ils se tiennent à distance, comme effrayés par ce chahut.
- Vous avez apprécié ? demande Wilhelm, devant le Lac artificiel au pied de l’opéra.
- Oui mille fois mais maintenant, dit-elle d’une voix volontaire, c’est à moi de prendre l’initiative. J’ai une proposition à vous faire. Je ne sais pas ce que la vie nous réserve mais peut être devrions nous à jamais immortaliser cette journée. Pour cela, il vous suffit de me suivre.
Il hoche de la tête.
Ils marchent alors longuement de long de Cháng’ān jiē dans un silence imperturbable.
Elle conduit le bal, il la suit pieusement cherchant à comprendre.
Ils s’arrêtent devant la Porte de La Paix Céleste (Tiān’ānmén 天安门).
- Avez-vous du souffle ? demande-t-elle
Il marque son étonnement.
- Approchez vous de moi !
Il s’exécute, le visage troublé.
- Eh bien ! Il est temps que vous m’embrassiez le plus sensuellement possible et alors vous gagnerez une place au paradis. Vous y êtes ?
La lumière glisse sur ces visages s’accommodant l’un à l’autre. Bientôt file doucement la nuit sur Pékin.
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