Aurélie Châtelain, morte pour la France !
Posté par ITgium le 8 octobre 2015
Victime du terrorisme, assassinée au hasard des chemins, la mémoire d’Aurélie a été célébrée à Tianjin en Chine du nord.
Son sourire rayonnant et son courage suscitent l’admiration des chinois.
Drapée dans la peau d’une héroïne tragique, Aurélie symbolise la France dans l’empire du Milieu.
Ci-après, « la minute » d’une soirée consacrée à la France et au cours de laquelle son souvenir s’est naturellement imposé.
J’en ai retranscrit le contenu.
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A Tianjin, à l’université de Nankai (Nánkāi Dàxué 南开大学), chaque mois se réunit le comité des Savoirs, une association dont le but est de parfaire nos connaissances sur des thèmes divers.
Sous la conduite des vieux professeurs Sun Wei et Ju Zhenping, l’on s’entretient le temps d’une soirée d’un sujet. Le mois dernier, les plaines du centre de la Chine, entre le Huáng Hé et le Chángjiāng, berceau d’une civilisation cinq fois millénaire. Parfois l’on s’évade vers des horizons lointains, la découverte du Désert du Taklamakan ou de la vallée aux neufs villages fortifiés (Jiuzhaigou). L’on commente aussi des sujets scientifiques comme cette idée que l’univers serait relié à un autre univers répondant à des lois physiques méconnus.
Dans l’assistance, à parts égales, femmes et hommes. Plutôt d’âge mûr. Dans les rangs, des étudiants et une poignée d’étrangers.
Parler de la France
Ce soir là, à la demande du Professeur Sun Wei, je m’étais offert à parler de la France.
J’avais préparé un exposé académique. Une cascade de tableaux ; des cartes assaillies de couleurs ; une chronologie chevauchant les siècles.
Bientôt les regards se portent sur moi. Je prends place sur l’estrade, les mains encombrées de documents. Je cherche un repère. Alors que des sourires m’encouragent à parler, une sorte de paralysie me surprend. Aucun mot ne glisse de mes lèvres.
Je reprends mon souffle, toujours rien.
Je force mon énergie, le vide.
Qu’ai-je à dire de la France ? Comment saurais-je la dépeindre ? Ai-je seulement le jugement pertinent ? Déjà je crains les poncifs, le convenu.
De guerre lasse, je pose mes mains sur le pupitre. Je glisse alors hâtivement sous le projecteur une image.
Sur un pan de mur, apparaît doucement une jeune femme. Les yeux pétillants de joie, joues et lèvres enlacés, le tout porté par un sourire radieux.
Ce sourire, Aurélie Châtelain, originaire de Caudry dans le nord de la France.
Aò hēi lì (奥黑莉), ai-je aussitôt repris en chinois.
Puisse-t-elle par leur seule force de son visage évoquer la France !
Dans la salle, les regards convergent sur elle.
Beaucoup cherchent, scrutent. Certains plissent des yeux.
D’abord un silence recueilli. Bientôt des murmures.
Un jeune homme s’avance.
- J’ai vécu deux années en France, commente Li Yazhe, le jour de mon départ, je voulais garder en mémoire une image de ce pays que j’ai aimé, que j‘aime toujours. Je ne savais que choisir, entre Versailles et Fontainebleau ; Napoléon et Louis XIV ; des vignobles du bordelais à la Montagne Saint Victoire. Aucune image ne s’imposait. Le départ s’annonçant, j’ai posé ma tête dans mes mains. Je me donnais une minute, pas une de plus. Lorsque je la relevais, j’étais toujours dans le brouillard. Comme je balayais du regard la salle d’attente, mes yeux s’arrêtèrent sur un écran de télévision. Je vois alors une femme resplendissant de vie. Jeune et souriante, tel un soleil. Tel un message. « Ne l’oublie pas ce pays, mon ami ! » ai-je cru entendre.
- Ce jour là, je me trouvais au Musée du Louvre. J’accompagnais un groupe de touristes du District de Jixiang, poursuit Jing Liu. Alors que nous nous approchions de la Joconde, un bip a retenti sur mon Smartphone. Un ami venait de m’adresser la photo d’Aurélie, l’accompagnant d’un commentaire : « Cela s’est passé en France ! »
Devant le spectacle de la Madone, un touriste m’interroge : « Les françaises font-elles autant la moue aujourd’hui ? » Je luttais contre cette supposition. Rien n’y faisait. Il se lamentait que la Joconde fusse à ce point peu avenante. C’est alors que me vint l’idée de lui opposer le visage d’Aurélie. Le groupe se rassemble autour de moi. Plus aucun des Tianjinois n’a alors cherché à surprendre le sourire introuvable de la Joconde. Ils n’en avaient que pour Aurélie. “ Ce regard est limpide et lumineux, je le comprends ! “ commente l’un d’eux.
Plus tard, déjeunant, avec ces derniers, ils me demandent de parler d’elle. Une foison de question. Ils voulaient tout savoir jusqu’à ses amours et, plus haut dans le ciel, ses rêves. Je cherchais mes mots. Fallait-il seulement dire la vérité ? Je n’ai pas voulu froisser leur bonheur. Je parlais d’une française comme je me l’imagine, comme ils se l’imaginent désormais. Dans le district de Jixiang à Tianjin, la voix de la France, c’est désormais Aurélie.
- Parler d’Aurélie, c’est ce que j’ai fait à l’université de Caen, le soir même du drame, prolonge Yang Ying. Du fait de mon ancienneté au Département du Génie Côtier, mon directeur de Thèse m’a demandé de parler de la France à trois étudiants qui le matin même venaient d’arriver des profondeurs de la Chine. Je les abreuvais de conseils. Ils m’écoutaient avec un infini respect, l’oreille bien tendu. Au bout d’une heure, je laissais le champ libre à leurs questions. « Il semble, dit le premier, qu’une femme se soit endormie au petit matin. Lorsque j’ai appris cette nouvelle, je me suis demandé ce que le destin pouvait lui reprocher ». « Moi aussi, reprend un autre, Je ne peux admettre que l’on en vienne à mourir à l’aube ». « Comment se peut-il qu’une femme si jeune puisse être si tôt emportée ? » conclut le dernier.
- Ce matin là, nous étions en costume, cravate bien serrée ! poursuit Wu Guo Jun, cadre austère dans une grande entreprise. Autour de notre líng dào (chef), un homme peu affable, notre délégation comptait dix membres. Notre objectif, prendre d’assaut une entreprise française, l’avaler si vous voulez. Depuis de longs mois, nous avions examiné cette proposition par le menu jusqu’à la moindre écriture. Finalement, nous avons décidé de mettre sur la table une somme bien replète. Voilà le grand jour ! Dans un immeuble Parisien, nous suivons notre chef. Son visage est tendu. Il brûle d’impatience. Le contrat est là devant nous. Les français se font attendre. Peut être s’émeuvent-ils d’un addendum de dernière minute ? Les minutes se prolongent. Dans l’attente, notre attention se porte sur un journal placé un peu plus loin. Dessus apparaît une femme souriante. Glisse un sourire sur le visage du líng dào. Nous respirons enfin. Surgit la délégation française. Par je ne sais quelle chimie une sorte de fraternité chaleureuse s’est immédiatement installée dans la salle. Le contrat est signé. Chacun se congratule. « Ah cette chère française ! Elle nous portera chance ! » s’exclame notre chef.
- Elle est morte à 32 ans. Lâchement assassinée ! lance brutalement Wang Peiliang, une jeune femme à la tenue stricte.
Silence glacé dans la salle. L’émotion est à son comble.
Ce que certains imaginaient être seulement un sourire est aussi une larme.
Ce que d’aucuns vivaient comme une lumière est encore un chagrin.
- Aux premières heures du matin, poursuit Wang Peiliang, je cours dans les parcs. Je m’étire. Je chahute mon corps. Je lui donne l’énergie dont il a besoin. Je suis heureuse. Je le serais encore plus si les femmes du monde entier partageaient un plaisir égal sans rien craindre de la vie.
De nouveau un silence.
- Lorsque je m’aventure à Pékin le long du lac Houhai, ajoute-t-elle, je pense à Aurélie. N’avait-elle pour première passion, celle de danser ? Chaque matin en son souvenir, je danse pour elle devant la maison de Sòng Qìnglíng, Mother of China, l’épouse du père fondateur de la Chine moderne, Sun Zhongshan (Sun Yat-sen). Un tour sur moi même, une valse en sa mémoire !
- Chaque soir, nous sommes trente à danser, prolonge Ye Xianbing, une retraitée de la Mairie. Devant le Musée de Tianjin, un souffle nous porte, le souvenir des êtres aimés trop tôt disparus. Leur ombre nous éclaire. Ils sont là parmi nous, mènent la cadence. Nous suivons leurs pas. Ainsi nous rendons hommage aux mille pairs de Chine comme autant à des étrangers aimés, comme à Aurélie.
- Le destin (mìng yùn 命运) ne lui a pas prêté la longévité (cháng shòu 长寿) qu’elle aurait méritée, commente le vieux professeur Ju Zhenping. La mort l’a trouvée à un âge où l’on aime infiniment la vie. Voilà l’infortune des héros, mourir avant l’âge ! Cependant, nous connaissons ce proverbe, le moment donné par le hasard vaut mieux que le moment choisi.
- Oui, nous savons qu’elle a défait le démon, l’ennemi du genre humain, poursuit Sun Wei. Ce matin là, dans la peau du diable, il sévissait. Il voulait semer la mort, tuer à bout portant, se draper de sang. En portant toute seule l’assaut, Aurélie a eu raison de sa misérable colère. En bousculant son sordide programme, elle a sauvé des vies ! Elle a donné sa vie pour les autres. Aurélie est morte pour la France !
- Peut-être avait-elle pour mission de protéger ce pays ? suggère Wang Peiliang.
- Peut-être a-t-elle toujours pour mission de le protéger des peines à venir ? reprend le professeur Ju Zhenping. Depuis la constellation du Centaure, voguant d’étoile en étoile, elle se tient aux aguets, prête à l’ouvrage. Lorsque la France s’en ira vers des lendemains funestes, elle diffusera des ondes bienveillantes, une idée du bonheur qu’elle portait inlassablement sur son visage. Une idée de la vie. Du haut du ciel, son sourire veille.
- Longtemps nous autres chinois avions pour seul héros français dài gāo lè (戴高乐), remarque le professeur Sun Wei. C’est le nom que nous donnons au Général de Gaulle. Ainsi traduit, le « très grand homme ». Lorsque la mort l’a emporté, il a pris place aux côtés des grands de Chine, Kǒng Fūzǐ (孔夫子), Lǎozǐ (老子), l’empereur Kangxi (康熙), Sun Zhongshan (孫逸仙), Zhōu Ēnlái (周恩来), Dèng Xiǎopíng (鄧小平), d’autres frères d’arme. Tel qu’il fut, il célébrait l’idée du devoir, le sens de la Nation. Telle qu’elle fut, Aò hēi lì racontait la France d’aujourd’hui, portant loin ses couleurs. Désormais selon nos traditions, dans chaque maison chinoise, depuis Taiyuan en passant par Xi’an et jusqu’à Chengde, ces héros français se maintiendront dans nos meubles. Comme nos ancêtres, comme Aurélie à jamais présent.
- Son visage angélique méritait d’éblouir la vie plus longtemps ! reprend Wang Peiliang.
- Nous autres Tianjinois, lui sommes infiniment reconnaissants de nous avoir fait comprendre la part d’humanité et d’universalité de la France, affirme le professeur Ju Zhenping, la voix saisie par l’émotion. Aurélie, tu seras toujours des nôtres, comme ta petite fille, comme tous les membres de ta famille.
Sur ces mots, la soirée s’est conclue.
Sous le regard bienveillant des professeurs Sun Wei et Ju Zhenping, dans la nuit noire de Tianjin, tout au souvenir d’Aurélie, chacun s’en alla avec une certaine idée de la France.
Le récit de François de la Chevalerie (jùn mǎ 俊 马 故事)
PS
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