Sony Chan, la chinoise la plus populaire de France ?
Posté par ITgium le 20 mars 2015
A jùn mǎ tale 俊 马 故事 (François de la Chevalerie)
De passage à Paris, j’ai été convié à un repas. Le sujet du jour : la Chine.
Sollicité pour prendre la parole, je rapporte méthodiquement les nouvelles du front : une économie en voie d’essoufflement, une pollution toujours autant prégnante et un Président autoritaire qui, faute de visibilité, encourage la jeunesse à jouer au football. Je poursuis sur les femmes, un sujet sans fin et à l’impossible conclusion. Je me lamente du viscéral ennui qui entame la vie des couples chinois. A partir du moment où l’argent domine tout, le naufrage est inévitable. « Tout cela n’est guère réjouissant » dis-je pour finir.
- Mais tu n’y es pas du tout !
Il me tend un smartphone. Sur l’écran, une jeune femme aux cheveux longs, les yeux perçants de Sòng Měilíng (宋美齡), le front dégagé de Zhou Xuan (周璇), les joues de Dèng Lìjūn (邓丽君), un zeste d’Audrey Hepburn.
- Sony Chan, tu connais ?
En matière des vedettes de commande, de postiches fabriqués par la CCTV, ma candeur n’a pas de seuil.
- Nullement de ce genre, tranche un ami, Sony Chan, c’est ce que la Chine produit de mieux.
- Qui aurait pu imaginer que le chinois le plus populaire de France fut une femme ? poursuit un autre. Plus jamais engoncé dans un traditionalisme éculé, voilà que l’empire du milieu s’offre un visage inattendu : un homme drapé dans la peau d’une femme ; Une femme aux origines masculines ; un homme comme une femme. Quel vent de jouvence !
Sourires approbateurs dans l’assemblée. Tous se réjouissent d’une telle percée.
Cependant, certains moquent ma crasse ignorance, celle courante des expatriés embastillés dans leur tour d’ivoire, sourds aux clameurs de la rue.
Une comédienne glamour et de bonne humeur
Du coup, la nuit venue, je suis parti à la recherche de Sony Chan dans les entrelacs des réseaux sociaux.
Je le vois.
Je la vois toutes les coutures.
Je m’amuse de ses chroniques à la télévision, à la radio. Sous l’ombre de la tour Eiffel, la comédienne lâche des jugements pertinents. Sans jamais se départir d’une bonne humeur, elle allume gentiment la France. Elle pointe de pâles réalités, traque les maux. Elle s’y prête en mettant en avant une personnalité chaleureuse et avenante.
Elle joue de ses rires, d’une gestuelle hardie.
Sony Chan est une personne aimable et bien disposée (hǎo shēng hǎo qì 好声好气).
Autant qu’elle s’en réclame, elle réinvente le glamour. Un genre qui paraît désuet mais qui sous sa grâce retrouve, entre fraicheur et générosité, une nouvelle vigueur.
Un ton qui tranche avec une scène de comiques aux saynètes plutôt grasses, souvent empâtées de réalisme social.
Paradoxalement, Sony Chan est beaucoup plus engagée que ses pairs.
Ce goût à la liberté
Alors qu’elle pourrait se fondre dans son nouveau pays, la France où elle est installée depuis 1997, elle tire de ses origines chinoises une exigence, ne jamais faiblir devant l’arbitraire, porter la voix autant que nécessaire.
Le mot est lancé.
« Je suis triste de voir la dégradation de ma ville natale, au niveau politique et social » se lamente-t-elle.
Originaire de Hong Kong, Sony s’inquiète des entorses croissantes à la démocratie sous la pression de Pékin, des tracasseries qui jour après jour détruisent les libertés.
Cette même liberté (zì yóu 自由) qu’elle s’est donnée pour sa sexualité, elle entend la faire prospérer à Hong Kong à la barbe des censeurs.
Ce courage qu’elle a à s’afficher comme bon lui semble, elle l’affirme autant à Victoria Peak (太平山頂) ou sur le front de mer de Tsim Sha Tsui.
Nullement craint-elle encore le gōng ān bù[1] qui invite les overseas chinese (Hǎiwài Huárén 海外華人) à ne pas se répandre.
Contrairement à beaucoup de ses concitoyens, plutôt pusillanimes, qui glissent honteusement dans le fossé (liū gōuzi 溜溝子), elle plaide pour une Chine moins encombrée de totalitarisme et avec plus d’Etat de Droit.
“On doit surtout écouter son cœur, soupire-t-elle. Le regard des autres fait partie de la liberté de chacun. On a le droit de m’aimer ou pas, mais on ne peut pas m’empêcher de vivre”
« L’oiseau préfère sa liberté à une cage dorée », pourrait-elle aussi rapporter.
Belle lumière de ce temps, voguant vers son destin, nul n’empêchera Sony d’avancer à grands pas (gāo gē měng jìn 高歌猛进), à vivre selon ses valeurs en France, à Hongkong.
Tel est le sens d’une vie, ce diction chinois : plutôt mourir de façon glorieuse que de mener une vie vulgaire (nìng wéi yù suì, bù wéi wǎ quán 宁为玉碎,不为瓦全).
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Sony Chan – Son spectacle au théâtre Les Feux de la Rampe.
[1] Le Ministère de la sécurité publique de la République populaire de Chine
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