Shanghai est-elle menacée d’effondrement ?
Posté par ITgium le 15 novembre 2013
De jùn mǎ 俊 马 (Francois de la Chevalerie) et Abraham Goldenberg
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Silence dans les rangs !
Chaque fois que l’on pose la question de l’affaissement du sol (土地沉陷) de Shànghǎi (上海), les regards se glacent, des gestes de la main éludent aussitôt la question.
Dans son splendide envol, l’avenir de cette ville qui rassemble une richesse toujours croissante ne saurait souffrir la moindre critique.
Cependant le silence suggère bien davantage le trouble que l’acceptation d’un problème.
Le cas de México
Ayant longtemps vécu à México, ville de 20 millions d’habitants, j’apprécie les débats intenses et jamais clos sur les glissements de terrain du bassin endoréique du District Fédéral. Cependant ces échanges démocratiques ne sont pas sans conséquences.
“ A México, l’existence même de ce débat a fait perdre à la ville près de 100 milliards d’actifs depuis 1990 selon une évaluation basse ” se plaint un prometteur. A l’inverse, la municipalité de gauche s’en félicite : « La menace géologique tire le foncier vers bas, ce dernier se maintient à l’écart des spéculations ».
Fissures sur le sol de Shanghai
A Shanghai, il n’existe pas de débat sur la question. Quelques brèves tout au plus au ton retenu, de surcroît, au contenu contrôlé.
Toutefois, l’information s’est légèrement emballée avec la découverte à la mi-février 2012 d’une longue fissure dans une rue au pied de l’emblématique Shànghǎi zhōngxīn (上海中心, 632 mètres), en voie de construction alors, dépassant la Shànghǎi huánqiú jīnróng zhōngxīn (上海环球金融中心, 492,5 mètres, 2008) et la jīn mào dàshà (420,5 m, 1999), toutes trois situées dans le quartier de Pǔdōng Xīn Qū (浦东新).
La présence de ces tours légitime des inquiétudes quant à l’impact environnemental, notamment, en rapport avec l’affaissement des sols. Toutefois, les craquellements de surface sont banals sur des terrains constitués de remblais.
Rapports
Plusieurs études traitent de la problématique de l’affaissement du sol de Shanghai. Cependant, faute d’une étroite collaboration avec la société de géologie de Shanghai, aucune ne fait vraiment autorité.
Ainsi selon un rapport établi par l’Université du Colorado, le delta du Chángjiāng (长江/長江) serait doublement affecté par l’affaissement du sol et de la montée du niveau de la mer. Reposant sur l’analyse de photos prises par satellite, selon ce rapport, la région serait sérieusement menacée.
Pour rappel, le delta recouvre une surface totale de près de 38,500 sq mi pour une population évaluée à 100 millions d’habitants dont 80 millions établis en zone urbaine. Ainsi la problématique de Shanghai est inséparable de celle de la région. S’étendant sur une superficie de 6340 Km2, la municipalité autonome héberge 24 millions d’habitants.
Démenti officiel
Cette analyse est contestée par la Municipalité, notamment, par la Société de géologie de Shanghai.
Sans rejeter l’idée que le sol du Shanghai s’affaisse dans la zone deltaïque, elle récuse la perspective que la région soit dangereusement menacée.
La Société de géologie de Shanghai s’appuie sur des données obtenues à partir de 220 GPS et 37 systèmes de contrôle des sols. D’après cet organisme, cette méthode serait plus précise que des photos prises par satellite.
Dans ce cadre, un contrôle particulier est réalisé sur les tunnels du métro et de la localisation des futures lignes.
Cependant ces données ne font l’objet ni de débat contradictoire ni d’examens complémentaires. Très liée à la Municipalité, la Société de géologie ne peut délibérément rapporter des informations exactes car comme il a été précisé plus haut, les enjeux financiers sont trop importants.
Toutefois la société de géologie se fend d’un chiffre. Elle mesure le tassement du sol de Shanghai à hauteur de 7 millimètres par an. Elle préconise de ramener ce chiffre à 5 mm par an.
Une situation ancienne et connue
Selon les archives de la ville, le tassement de Shanghai est connu depuis longtemps. Construite à l’embouchure du fleuve huángpŭ jiāng sur un sol sédimentaire chahuté et boueux, cette situation est constatée dès 1921.
Depuis le début du siècle jusque dans les années 70, les nombreuses usines alors présentes dans le delta exploitaient à outrance la nappe, laissant à terme des poches d’air, contribuant mécaniquement à l’enfoncement des sols.
En presque cent ans, la ville aurait perdu entre 2 et 3 mètres de hauteur. Un indicateur en témoigne. Sur les bords du sūzhōu hé, la surface de l’eau est souvent au-dessus de celle des quais.
Jouant de prudence, les archives précisent que la situation serait sous contrôle depuis 1965.
Le poids des tours
Shanghai compte peu ou prou 1 000 tours de plus de 100 mètres. Garant d’une croissance sans limite, la construction de gratte ciels ne ralentit toujours pas.
Selon le Bureau de la planification de la ville de Shanghai, le tiers des affaissements dans le centre-ville serait provoqué par ces immeubles.
Le Bureau municipal de protection de l’environnement a confié à l’Institut de recherche des sciences environnementales de Shanghai une étude sur l’impact de la Shànghǎi huánqiú jīnróng zhōngxīn, construite en 2008. Toutefois, à l’exception d’un bref communiqué de presse, cette étude n’a jamais été rendue publique.
Néanmoins l’affirmation selon laquelle l’affaissement serait dû aux tours géantes est hasardeuse car celles-ci, arrimées à de solides piliers, reposent sur des couches géologiques profondes.
Pompage exacerbé de l’eau souterraine
Toutefois les mesures de la société de Géologie négligent l’invraisemblable pompage dans les réserves d’eau souterraines présente et à venir comme en témoigne, par exemple, la présence de 250 golfs dans l’aire de Shanghai.
A l’évidence, la forte pression démographique induit forcément un plus fort prélèvement de l’eau.
Avec les activités humaines allant se multipliant, la subsidence de l’écorce terrestre est devenue une réalité incontestable. En géologie, La subsidence est un affaissement lent de la lithosphère entraînant un dépôt progressif de sédiments sous une profondeur d’eau constante.
En Chine, la cause principale de subsidence est le pompage de l’eau des nappes ce qui réduit la porosité de roches. La subsidence est particulière significative en amont du Chángjiāng (5 mètres) principalement à cause de l’exploitation ancienne des aquifères souterrains.
Selon Zhang Weiran, professeur à Tóngjì Dàxué, le sol de Shanghai est une véritable éponge. Ce dernier a quantifié économiquement les conséquences du phénomène en s’appuyant, notamment, sur la récurrence des inondations.
L’enjeu de l’exploitation de l’eau souterraine
Selon la société de géologie de Shanghai, cette situation peut être freinée, notamment, par le contrôle de l’exploitation de l’eau souterraine, le réajustement des couches de nappes d’eau souterraine à exploiter, le développement du recyclage de l’eau souterraine, etc.
Sur le chemin des typhons (tái fēng)
Un fait est acquis. Selon un rythme à en débattre, Shanghai s’enfonce doucement dans la terre. Ville côtière située sur le chemin des typhons, quels seraient les conséquences d’un tel événement ? Plusieurs fois, des alertes au typhon ont eu lieu à Shanghai mais jamais la ville ne s’est trouvée dans l’œil du cyclone.
Toutefois, selon l’hypothèse où le niveau de la mer continuerait à s’élever au rythme actuel et dans l’hypothèse de la déferlante d’un typhon, les digues existantes à Shanghai sont notoirement insuffisantes.