Le Président Liú Shàoqí était-il juif ?
Posté par ITgium le 26 avril 2011
De François de la Chevalerie
Enchâssée dans quelques livres, de temps à autres, surgit une curieuse incidente : Liú Shàoqí (1898-1969), Président de la République Chinoise (1959-1969), serait d’origine juive.
Le point de départ de cette interrogation remonte en partie à un ouvrage intitulé “Liú Shàoqí : le moine rouge »[1] écrit en 1961 par un ancien membre du Parti communiste allemand, Hans-Heinrich Wetzel. Dans ce livre, l’auteur évoque l’ascension de Liú Shàoqí au pouvoir. Au mois d’avril 1959, ce dernier accède à la charge de Président du Parti Communiste Chinois, en remplacement de Mao Zedong. S’attardant sur sa jeunesse, l’ouvrage rapporte un curieux dialogue ayant eu lieu aux alentours de 1910 entre Liú Shàoqí, alors âgé de douze ans et son oncle Liu Tsofang.
Selon ce dernier, sa famille serait originaire de la province du Xinjiang, anciennement nommé le Turkestan oriental. Au début du vingtième siècle, cette province était délaissée, ce qui n’était pas le cas longtemps auparavant.
Deux siècles avant Jésus Christ et ce, jusqu’au XVème siècle, d’incessantes caravanes s’aventureraient sur ce territoire. Depuis le golfe arabique en passant par Samarkand et Boukhara, dans le sens Est Ouest, elles convoyaient des pierres, de la porcelaine, des étoffes de laine, des épices, de l’ivoire. Des armes dans le sens Ouest Est.
Depuis Bagdad ou Meched, les tribus, arabes ou perses, se déplaçaient avec tous leurs attributs : femmes, enfants, esclaves. Dans la mêlée se comptaient quelques juifs, précepteurs ou marchands.
Dans le sillage de ce que l’on nomme historiquement la route de la soie, certains s’établirent en Chine.
C’est ici que le récit de l’oncle prend un aspect inattendu. Selon ce dernier, sa famille ferait partie des « Ye-Se-Lo-Ni », le mot chinois désignant naguère les Israelites. Aujourd’hui, le terme en usage est « yóu tài rén », parfois aussi « yo se lie rén », littéralement les tribus d’Israël.
Apres avoir quitté le Xinjiang, leurs ancêtres vécurent dans la province du Shanxi pour ensuite faire souche à Kaifeng dans la province du Henan, capitale impériale sous la dynastie Song du Nord (960-1127).
Des le XVIIème siècle, la présence d’une communauté juive à Kaifeng est établie par des jésuites, notamment, le père Matteo Ricci. Leur nombre est faible, quelques centaines. Leur apparence physique comme leurs habitudes culturelles sont semblables à celles des Han. Cependant, certaines pratiques religieuses suggéreraient une appartenance à une communauté de foi hébraïque. Au XIXème siècle, la plupart des juifs de Kaifeng ou supposés tels migrent vers Pékin, Ningbo et Canton. L’héritage juif de cette ville disparait alors dans les nimbes de l’histoire.
A l’égal des juifs de Kaifeng[2], la famille de Liú Shàoqí se serait complètement sinisée.
Concluant cet épisode, Hans-Heinrich Wenzel assure qu’il s’agit du seul cas connu d’assimilation complète des Juifs. Lancée légèrement, cette affirmation est néanmoins contestable.
Quelle valeur accorder à une telle révélation ?
Il est étrange de constater que cette anecdote n’emporte, pour l’auteur, aucune conséquence. A quoi bon alors en faire mention ? A aucun autre moment dans l’ouvrage, la question cette supposée racine n’est encore soulevée. L’auteur a donc délibérément décidé de ne lui prêter aucune portée.
Pourtant cet élément pourrait avoir son importance compte tenu de la place remarquable des intellectuels juifs dans le mouvement communiste chinois.
Peu nombreux, ils disposaient cependant d’une réelle influence. Ils sont, notamment, très présents dans l’entourage immédiat de Sòng Qìnglíng, Madame Sun Yat Sen, deuxième épouse du « Père de la Chine moderne. La plupart sont éditeurs ou journalistes. Certains dirigent des revues de premier plan tel Israël Epstein (1915-2005). Comme c’est le cas de ce dernier, plusieurs sont naturalisés chinois.
Beaucoup sont originaires d’Europe Centrale. Parmi ces derniers, des bolchéviques emmenés dans les bagages de Maksim Litvinov, Commissaire aux Affaires Etrangères de l’URSS. Egalement, des anciens membres du Bund, mouvement socialiste juif créé à la fin du XIX siècle dans l’Empire de Russie.
Pour le journaliste américain Edgar Snow, Il existait une espèce de fraternité naturelle entre ces deux civilisations millénaires. Rompant avec le temps du féodalisme, toutes deux expérimentaient à leur manière l’idéologie communiste, souvent considérée comme un nouveau messianisme.
De surcroit, cette observation est à rapporter aux jeux d’influence s’exerçant autour des sœurs Song, la famille chinoise la plus puissante de la première moitié du XXème siècle.
Si les juifs ont l’écoute de Qìnglíng, Mayling Song, Madame Tchang Kai Chek, est proche des courants protestants américains, notamment, des méthodistes[3].
Chacune s’appliquait à défendre une vision de l’universalisme.
A l’époque, l’Etat d’Israël était principalement soutenu par l’union soviétique. Il est donc naturel que le mouvement révolutionnaire chinois reçoive le soutien de juifs.
Compte tenu de ce contexte, l’éventualité de l’origine juive de Liú Shàoqí a son importance. Si donc cette information était avérée, a-t-il seulement prêté sa voix pour défendre peu ou prou cette cause ? Aucun de ses gestes, aucun de ses discours, ne laisse supposer une telle démarche.
Dans sa biographie sur Liú Shàoqí, Lowell Dittmer[4] ne retient pas cette information. Pas davantage, le journaliste américain Jonathan Goldstein n’en obtient la confirmation auprès de Israël Epstein lors d’une interview réalisée en 1970. Toutefois, ce dernier étant très lié avec le régime, peut-être n’a-t-il pas souhaité lever le mutisme entourant cette question ?
Paradoxalement, cet élément sera utilisé à dessein pour des objectifs déclarés d’anti communisme. Comme en témoignent les pages d’Arthur A. Chiel[5], « Le moine rouge: l’antisémitisme un facteur dans la lutte pour le pouvoir chinois? ». Dans cet ouvrage à la construction hasardeuse, ce dernier suggère que les luttes d’influence au sein de Parti Communiste auraient partie liée avec de l’antisémitisme. Pourtant, d’après les relevés des réunions du parti, à aucun moment, cet aspect n’est soulevé. Ce qui apparaît logique dans la mesure où il n’existe pas en Chine d’antisémitisme populaire comme cela a été le cas en Europe.
Si donc cette voie ne peut être explorée, la destitution de Liú Shàoqí lors du 12e plénum du Comité central mérite attention.
Même si il n’est pas le seul à avoir porter un regard critique sur le grand bond en avant (Dà yuè jìn) voulu par Mao Zedong, le sort qui lui sera réservé sera particulièrement abrupt. Victime d’une autocritique cinglante, trainé dans la boue en public, il trouvera la mort le 12 novembre 1969 dans une prison de Kaifeng, dans cette même ville où existait autrefois une communauté juive. Lors de son incarcération, Il subit de nombreuses humiliations et des mauvais traitements. Entre autres, aucun soin ne sera apporté à son diabète.
Aujourd’hui encore, la minute de l’interrogatoire de Liú Shàoqí n’est pas consultable.
En revanche, au service des archives historiques de l’université de Kaifeng, des documents font état du climat général sévissant à la fin années 60.
La tension est particulièrement forte à partir de 1967. Un appel à dénonciation est lancé contre les traites. Le texte ne fait pas dans la dentelle. Selon des termes typiques de l’inquisitoire communiste orthodoxe, Il s’en prend directement aux cadres locaux : « de petits personnages imbus et arrogants qui méritent de ne plus jamais voir la lumière ! » ou encore « des valais de la bourgeoisie, juste bon à sucer le sang du peuple ! » Aussitôt dit, ces derniers sont manu militari délogés de leur habitation et soumis à la vindicte populaire. Sur la place publique, le petit livre rouge à la main, des étudiants vocifèrent dans leurs oreilles un enchevêtrement d’insultes. Souvent bousculés, détruits psychologiquement, peu d’entre eux en sortiront vivants.
Au nombre des insultes, percent de manière récurrente des propos suintant le racisme. L’on relève des « Vous ; les fils des tribus d’Israël ! » par opposition sans doute « aux fils du ciel » dont ces mêmes étudiants seraient issus.
Dans un texte, mention est faite de Liú Shàoqí.
« Il a trahi, doublement trahi. Il a trahi le peuple. Il trahissait tout ce qu’il touchait ! » Plus explicite ; cette fois : « D’ou vient-il, celui là ? De L’Orient lointain cherchant à asservir le peuple chinois ! » pousse un commentaire. Se glisse une question : « Que n’a-t-il pas fait pour feindre ? Qu’est ce donc cet homme ? Un agent de l’étranger ? Il n’a jamais cessé de cacher son jeu, ce misérable prurit de l’aliénation étrangère ! » Passons sur des insultes plus lourdes mais les éléments rapportés suggèrent que la mise en cause de Liú Shàoqí aurait également partie liée avec ses origines. Cependant aucune mention n’est fait précisément faite sur une supposée judéité.
Le mystère donc demeure.
Sans doute la divulgation de l’interrogatoire pourrait elle aider à apporter une réponse même si de toute façon rien dans la vie publique de Liú Shàoqí n’incline à penser qu’il aurait eu peu ou prou entretenu une sensibilité juive.
Mai 2011.
[1] Editions Denoël
[2] Selon certaines informations, 600 juifs chinois résideraient encore à Kaifeng. Le statut de minorité ne leur ayant pas été reconnu, le gouvernement leur demande de se déclarer Hui (chinois musulmans) ou Han (chinois «chinois»).
[3] La famille Song est de confession methodiste
[4] Lowell Dittmer, Liu Shaoqi and the Chinese Cultural Revolution. Revised edition (Armonk, NY and London: M.E.Sharpe, 1998).
[5] Les juifs Digest [Houston, Texas] vol. 8, no. 11 [août 1968], p. 7-8; Chiel, «
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